Ou va #NuitDebout ?

Ou va #NuitDebout ?

Alors ok, le système politique actuel est nuisible et se paye notre tête. On descend sur la place commune pour faire sans eux, la plèbe fait sécession !

– Ca à l’air sympa ton truc, mais ça va mener à quoi au juste ? Tu crois vraiment à la révolution ?
– Non. Mais en même temps oui.

Aujourd’hui on va regarder un peu les sorties potentielles d’un mouvement pareil, en se basant sur ce qui s’est déjà fait ailleurs et sur la direction qu’à l’air de prendre le mouvement. Il y’a d’un côté le probable : ce qui, selon moi, à de bonnes chances d’advenir ; et d’un autre le possible.

Pour aujourd’hui on va rester focus sur le probable. Il y a eu des mouvements similaires, dans des pays relativement proches d’un point de vue socioéconomique. On peut imaginer qu’on aura probablement des résultats assez proches.

Indignados

2011, Espagne, le mouvement du 15-M, Indignados. Le peuple prend les places, les revendications sont économiques (anti-austérité) et politiques (¡Democracia Real YA!), pas de hiérarchie, le mouvement est autogéré.

Puertadelsol2011

Alors, quels résultats chez eux ?

L’émergence d’une force politique nouvelle (Podemos) qui apporte du sang neuf et se taille une place importante au parlement, mais qui reste malgré tout assez classique dans sa forme (un parti politique classique).

On veut ça chez nous ?

Evidemment, on a vu l’impasse de l’élection de politiques « de gauche » en Grèce avec le naufrage de Tsipras, la récupération par la politique classique du mouvement 15M en Espagne. Et le système Français et encore plus verrouillé, un système électoral qui favorise une polarisation à 2 partis à l’assemblée, le sénat en cerbère, et une élection présidentielle faite pour « un homme fort ». Papi de Gaulle a bien travaillé, la constitution de la 5eme c’est du solide. Bref même si un mouvement nouveau émergeait, ça ne serait pas gagné.

Alors c’est un échec ?

Ben quand même ça ferait probablement pas de mal d’avoir un peu de neuf dans l’échiquier politique. Il y a 3 mois l’ensemble du temps de parole politique était concentré sur un discours identitaire nauséabond et une course à l’échalote du plus sécuritaire. La vision pour 2017 c’était, au mieux, une campagne Juppé, Hollande, Le Pen, et un second tour Juppé – Le Pen (je ne veux même pas parler de l’autre excité).

Donc partant de là, on va dire que faire revenir, même un tout petit peu, dans les discours des questions sociales, humanistes et démocratiques c’est déjà une putain de victoire, et même les médias font leur gros titres sur la « violence ». Et si une force politique devait émerger un tout petit peu à gauche avec des gens nouveaux, ça serait pas si mal.

Vu les verrouillages constitutionnels existants l’enjeu réel serait sans doute l’écriture d’une nouvelle constitution, et forcément… repenser la question Européenne. Certains initiateurs des Nuits Debouts parisienne, Ruffin et Lordon, privilégient sans doute cette voie… et avec Mélenchon en embuscade évidemment

Je ne suis pas un grand fan du bonhomme mais bon, par défaut, ça serait peut-être pas si pire après tout. Mais franchement est ce que ça fait vraiment rêver ? Non.

Occupy Wall Street

2011 Etats unis, le mouvement Occupy Wall Street prend New York pendant plusieurs semaines, avec des répliques un peu partout aux états unis. Là aussi c’est très similaire. Je conseille le bouquin the Democracy Project de David Graeber sur le sujet :

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Alors, quels résultats chez eux ?

Initialement toléré, le mouvement sera victime d’une répression violente de la part de la NYDP soutenu par les médias. Le mouvement ayant démarré en septembre l’hiver arrivant finira par chasser les derniers occupants.

On veut ça chez nous ?

Disons que c’est quand même, une issue assez probable: un étouffement progressif du mouvement.

Alors c’est un échec ?

Oui et non. Quelque part c’est en fait plus un succès qu’en Espagne. Après tout le mouvement se voulait en dehors des jeux politiques habituels, il n’y est pas rentré, peut être que c’est mieux. Et si on ne regarde que la partie « politique », beaucoup de commentateurs expliquent l’émergence de Bernie Sanders comme candidat crédible par le fait qu’il porte des revendications proches d’Occupy Wall Street. Il ne sera certainement pas le candidat du camp démocrate, mais il a acquis en quelques mois une place non négligeable sur l’échiquier politique.

Il y aurait alors un effet retard du mouvement sur l’opinion ? En tout cas certains sondages récents (Avril 2016 Harvard Institute of Politics), montre une évolution de la vision des idéologies dans la population américaine.

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Et si on avait déjà (un peu) gagné ?

Bon c’est bien beau tout ça mais on est où aujourd’hui ? Et essayons de sortir la boule de cristal, voir un peu ce que nous dit le futur.

Ou en sommes-nous ?

Un point très rapide sur l’état du mouvement, à ma connaissance, au moment où j’écris ces lignes.
Le mouvement, il faut bien l’avouer s’essoufflait peut être un peu il y a quelques semaines. Heureusement, le meilleur ami de Mr Coupat dans ce pays a encore donné de sa personne.

En sortant son flingue à l’assemblée et en ordonnant à ses séides d’asperger de 49-3 tout ce qui bouge dans la rue et jusque dans les écoles maternelles, Manuel Valls a bien servi la cause de la révolution. Quand le vieux monde sera tombé, il faudra que quelqu’un s’en souvienne et lui dresse une statue, bien pompeuse et dorée, d’un mauvais goût sûr, mais une statue quand même.

Alors ça grève, ça bloque les raffineries, les routes, les ponts, les trains puisqu’il parait que le pouvoir est logistique, et avec l’Euro de foot dans une petite quinzaine de jours le poids politique des blocages pourrait bien être décuplé. Alors ça y est Tovarishch? c’est le grand soir ? la convergence des luttes ?

Bon non, les probabilités d’un vrai effondrement du pouvoir sont quand même très faibles. Par contre, le retrait de la loi, et Hollande qui se sépare de son premier ministre, c’est assez probable comme scénario. Ca laisserait à l’un la possibilité d’essayer de récupérer son électorat de « gauche » pour 2017 en nommant Montebourg à Matignon, et à l’autre la possibilité d’aiguiser ses couteaux dans l’ombre pour prendre la tête de ce qui restera du PS une fois Hollande laminé à la présidentielle dans un an (presque du Gagnant – Gagnant en fait).

Mais bon, comme je l’ai dit précédemment, tout ça c’est de la petite politique, la loi n’est qu’anecdotique. Ce que Nuit Debout dénonce c’est la loi travail ET SON MONDE. Et de ce point de vue-là, un simple retrait de la loi, ne serait qu’une position conservatrice, un échec. L’objet du mouvement n’est évidemment pas de rester au statu-quo, et il y a plein de contre propositions (sur le code du travail et ailleurs), mais il est peu probable qu’une seule ne soit adoptée par un gouvernement, même « gauche du PS », avant l’élection de 2017. Miser sur cette « gauche du PS » apparaît d’ailleurs comme l’ultime piège à con.

La politique c’est quoi ?

Non il n’y a pas de victoire à attendre de la « politique ».

Au moins au sens du cirque habituel. La tragi-comédie médiatique des professionnels de l’élection et la gestion policée des administrations. A moins qu’on pense la politique comme la simple organisation commune du quotidien, de la vie ensemble, alors oui là il y a peut-être des choses à attendre.

Regagner la visibilité

Déjà le mouvement a le mérite de refaire émerger une parole différente dans le media game. Vu l’orientation prise ses dernières années avec l’omniprésence d’une parole réactionnaire et anxiogène, c’est déjà une sacrée victoire!

Ca ne changera pas fondamentalement la ligne des médias de masses qui resteront le doigt sur la couture du pantalon (forcément vu qu’elle appartient quasi intégralement à une « poignée d’hommes d’affaires »). Mais ça les oblige quand même à en parler, même pour en dire tout le mal qu’ils en pensent.

Il est probable que « les gens » ne soient pas aussi stupides qu’on veut bien le croire, et qu’il en reste quelque chose. Certains s’apercevront du décalage existant entre ce que le journal dit de leurs voisins et ce qu’ils en voient en quotidien, d’autres ne se contenteront pas de l’explication officielle et iront voire par eux même, enfin d’autres découvriront soudainement qu’ils ne sont pas si isolés et minoritaire qu’on le leur a répété jusque là.

L’enjeu est de taille, regagner une parole, une visibilité et un imaginaire. Celui d’autres possibles, car rien n’est immuable ou certain. Et si on veut nous faire croire à une fin de l’histoire ou l’absence d’alternatives, un bref coup d’œil en arrière suffit souvent à se rendre compte qu’il n’en a jamais été ainsi et qu’il n’en sera jamais ainsi.

Refaire émerger cette possibilité peut sembler insurmontable. C’est Usul contre Pujadas comme le dit si bien Histony (à voir ci-dessous son excellente vidéo sur « 1848, révolution ratée ? » qui est bourrée d’enseignements). Mais il ne faut sans doute pas attendre de basculement soudain, je préfère miser sur une question de long terme.

Apprendre à s’organiser

Un autre effet direct du mouvement, et probablement le plus important, est de permettre à des gens de s’auto-organiser. De se confronter directement aux problèmes qui se posent et d’y répondre, sans attendre de décision d’une hiérarchie ni d’autorisation d’une administration compétente. Bref apprendre à se sortir les doigts et arrêter d’attendre que quelqu’un vous donne un ordre.

Ca à l’air de rien, insignifiant, mais je pense que c’est au contraire important, et potentiellement très puissant. Un gars que j’aime bien (et qui s’intéresse à la « survie ») parle des 5% qui prennent soin du monde. Je t’invite à le lire à l’occas.

Tout est question d’éducation, et si on nous apprend bien à obéir aux directives, beaucoup moins à faire preuve d’initiative, de jugement et à sortir des cadres. Alors il faut l’apprendre à un moment ou un autre, si Nuit Debout a pu montrer à quelques uns que c’était possible, c’est déjà une victoire.

Ca ne changera peut être pas le monde tout de suite, mais peut être que tant mieux, c’est un combat de très long terme, cette proportion de gens éduqués, ouverts d’esprit ne peut progresser que sur le long terme. De longues convulsions, comme disait Roro :

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2 réactions au sujet de « Ou va #NuitDebout ? »

  1. Le chemin est encore long quand on voit le traitement médiatique de ces derniers jours : « Ces abrutis de la CGT qui prennent les gens en otage ». Dans aucun média grand public la parole a été donnée à ceux qui font grève (et au passage y laisse de leur salaire) pour comprendre leurs motivations. Par contre, on a eu droit à une overdose de micro-trottoirs aux stations essence, qui ont largement contribué à diffuser l’idée de la pénurie. Consommation x5 dans les alpes maritimes. Et qui c’est qui a fait tellement peur à Mamie qu’elle s’est senti obligée de sortir la voiture du garage pour faire 2h de queue chez total alors qu’elle a encore 3/4 de plein ? et le grand gagnant est : TOTAL qui a bien augmenté ses prix dans l’intervalle !

    1. Oui, clairement le chemin est long, mais je pense surtout que les vrais progrès sont invisibles. Ils ne seront clairement pas médiatisés (cf http://lignesdorages.com/index.php/2016/05/31/usul-le-journaliste-david-pujadas/), mais je pense que sur le long terme les choses évoluent. Ca interdit pas d’envisager un bousculement plus rapide et radical, et je suis absolument pas contre, mais disons qu’au pire, si l’horizon immédiat est bouché, on a toujours le jeu de long terme.
      Miser sur le long terme ne veut pas pour autant dire ne rien faire aujourd’hui en espérant que tout ce passe bien demain. Au contraire, c’est plutôt une justification de l’action immédiate: même si nos actes aujourd’hui n’ont pas l’impact qu’on pouvait espérer, ils ne sont pas nécessairement vain et inutiles. Aucun acte n’est sans conséquence, et c’est plus la façon dont on pose nos actes que les buts recherchés qui importe.

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