Le Bas Empire (Paul Petit)
Aujourd’hui petite chronique sur un bouquin: Paul Petit, Le Bas-Empire (284 – 395), dans la série Histoire Générale de l’Empire Romain.
Oui, encore un bouquin d’histoire, sur l’antiquité, mais cette fois sur le monde romain. Cette série de bouquin (dont c’est le troisième et dernier tome) couvre toute la période impériale, d’Auguste à Théodose, c’est à dire tant que l’empire est (plus ou moins) en un seul morceau, ou pour être plus exacte avant la séparation entre orient et occident.
La période
Alors je vais faire un résumé grossier de la période, et en plus c’est basé sur une vision unique (vu que c’est pour l’instant la seule série de bouquin que j’ai lu sur la période) et un peu daté. Donc tu devrais probablement pas trop te fier à ce que je raconte et faire des recherches complémentaires m’enfin comme d’hab quoi…
La fin de l’anarchie militaire
Donc le bouquin débute par le règne de l’empereur Dioclétien. Ce règne suit une période (couverte dans le bouquin précédent) assez trouble de l’empire romain. En gros de 192 à 284 les empereurs se succèdent généralement pas dans la joie et l’allégresse mais plutôt à coup d’assassinats et de massacres, et encore quand y’en a pas plusieurs en même temps qui se tirent la bourre pour savoir qui est le plus Auguste. (C’est un peu Game of Thrones si tu veux).
Bref c’est bien le bordel, et généralement sur cette période les empereurs sont des généraux qui sont acclamés empereurs par leurs légions. L’armée est faiseuse de roi, sans que le sénat (l’aristocratie politique), ou l’empereur précédent est vraiment son mot à dire sur le choix.
Dioclétien
Tout ce bordel se calme un peu avec Dioclétien qui, si il arrive au pouvoir plus ou moins comme les autres, a la ferme intention de mourir pénard dans son lit.
Du coup, il organise un peu sa succession, il se désigne un co-empereur et deux césars à même de prendre le relais à sa mort. Ça permet aussi de faciliter la gestion de l’empire. Un des problèmes jusque là étant que l’empire était tellement grand qu’il devenait difficilement gérable pour un seul empereur. Ils étaient obligés de déléguer des régions à des généraux, qui se disaient vite que si ils étaient capables de gérer leur région, ils se verraient bien gérer le tout…
Il finit même par abdiquer (on sent le gars vraiment déter à caner dans son lit) et laisser les autres gérer (en rajoutant un gonz pour rester sur le modèle 2 Augustes, 2 Césars). En fait il essaye plus ou moins de revenir à la tradition. On peut y voir un retour à l’époque des Antonins où l’empereur désignait d’avance son (ou ses) successeurs, histoire d’éviter les embrouilles. On peut aussi y voir une réminiscence de la période républicaine, où Rome avait deux consuls (même si à l’époque c’était plus dans une optique de limitation du pouvoir exécutif). Et pour asseoir tout ça il théorise son système à quatre chefs (tétrarchie), deux Augustes, deux Césars, avec même un parallèle religieux remettant à l’honneur des divinités traditionnelles de Rome (Jupiter, Hercules).
Constantin
Bon le plan de Dioclétien marche qu’en partie (il aura quand même réussi à pas se faire assassiner) mais par contre son plan de tétrarchie foire bien et il a même le temps de voir le truc foirer avant de crever (pas cool).
Parce que dans les tétrarques, y’en a qui se verraient bien plus tétrarque que les autres, à commencer par Constantin.
Alors ouai voilà, ayant lu le dictionnaire philosophique de Voltaire, j’avais pas vraiment un bon à priori sur Constantin. Mais bon il disait beaucoup de conneries Voltaire aussi, alors j’ai essayé d’aborder le truc sans trop d’à priori mais bon… le constat est quand même assez salé pour Constantin.
Pardon, pardon, « Saint Constantin le Grand ».
Ah oui, il a eu la bonne idée de se convertir au christianisme et d’être le premier empereur chrétien et du coup de faire cesser les persécutions sur les chrétiens.
Les chrétiens
Ouai du coup ça vaut le coup de faire un mini topo sur ce qu’on entend par persécutions et sur les relations entre les chrétiens et l’empire.
Alors au départ, en gros sur le 1er siècle, les chrétiens osef. C’est une petite secte de juifs un peu chelou, pas de quoi changer le monde.
Et puis ils finissent quand même par se faire remarquer. Le truc qui va pas avec eux, c’est pas tant religieux que politique. Sous prétexte de leur dieu unique que c’est le seul bon et que y a qu’eux qui savent le prier correctement, bah ils refusent de participer aux cérémonies religieuses officielles. Et notamment ils participent pas aux célébrations du culte impérial (un serment d’allégeance à l’empire en gros). Et ça, les romains ont beau être super tolérants avec les nombreuses religions chelou qu’on trouve dans l’Empire, le culte impérial faut pas trop déconner avec parce que c’est avant tout politique et pas religieux.
Et d’ailleurs le problème est pas dans le fait d’avoir un dieu unique, vu qu’il y a pas mal de monothéistes païens, soit chez les philosophes (comme les stoïciens qui se feront d’ailleurs salement piller leur doctrine par les chrétiens), soit chez certaines religions orientales de la fin de l’empire (Mithra, Sol invictus) qui sont vraiment pas loin du monothéisme. Mais ces religions respectent les polythéistes et les autres religions (y compris le culte impérial), en fait je crois qu’on peut dire que le problème avec les chrétiens, bah c’est un peu leur intolérance.
Du coup bah persécutions. Après faut pas s’imaginer que c’était Blandine et les lions tout les dimanches. Ca c’était plutôt l’exception, des épisodes de massacres assez rares et le plus souvent liés à des circonstances locales, en mode bouc émissaire: les vaches ont la chiasse ? bah ca doit être la faute des chrétiens.
Du coup y’a une période où ils étaient pas trop à la fête. Et puis après, ils devenait tellement nombreux, c’était tellement le sbeul dans l’empire, que bon… on les a un peu laissé faire leur truc dans leur coin. La principale « persécution » restante à l’époque de Constantin en gros c’est qu’ils ont pas accès aux postes de hauts fonctionnaires et que leur clergé n’est pas exonérés d’impôts.
Monarque de droit divin
Du coup Constantin lève progressivement les dernières persécutions sur les chrétiens, et finis par se convertir.
Et c’est un changement assez important en fait pour l’idéologie impériale. Depuis Auguste les empereurs étaient « divinisés », au départ c’était après leur mort qu’on les considérait comme dieu. Puis de plus en plus de leur vivant (tant qu’à faire). Et cette divinisation de l’empereur était évidemment politique.
A partir de Constantin on change de paradigme, on invente l’empereur « de droit divin ». Il n’est plus un dieu parmi la foultitude, il est humain, mais par contre il a un lien unique et privilégié avec la seule divinité qui compte. Le gros avantage politique du Christianisme c’est son dogme unique et son clergé fort, organisé et hiérarchisé. Une seule façon de penser et les autres au buché, plutôt pratique comme outil pour un empereur.
Et du coup tu le vois venir, à peine les persécutions sur les chrétiens arrêtées… elles reprennent quasi immédiatement sur les païens (le pardon, la tolérance, l’amour du prochain tout ça tout ça). Et justement les païens, n’ayant pas un clergé très organisé et hiérarchisé, ils prennent bien plus cher et vachement plus vite.
Julien l’apostat
Après la mort de Constantin on a le droit au règne des fistons qui en gros continuent l’oeuvre du papa. Et puis voila qu’un gars qui aurait pas vraiment du arriver sur le trône s’y retrouve: Julien. A la base on l’avait envoyé sur une sorte de mission suicide, manque de pot le jeunot s’en ai bien sorti du coup on a été obligé de le faire César, et à partir de là c’est la route tout droit pour être Empereur.
A la base il a été élevé en chrétien, à Constantinople, mais bon toute sa famille avait été massacré par Constantin et il avait juste été épargné du fait de son age, donc il avait pas trop d’illusion sur les valeurs chrétiennes. Voila que comme il s’ennuie il s’intéresse aux philosophes grecs, et c’est le drame, il renie le dieu unique et se refait païen. Au départ en secret, mais bon une fois qu’il ait empereur, c’est pratique il a plus trop à se cacher.
Et du coup bizarrement il a aussi une vision politique différente de Constantin, il tente de revenir au principat libéral, de réduire la voilure de la bureaucratie impériale qui enfle dangereusement et de redonner un peu d’autonomie politique aux cités.
Il instaure aussi une tolérance religieuse complète, pour païens et chrétiens, a égalité pour la première et la seule fois. C’est en fait paradoxalement un moyen pour lui de luter contre les chrétiens. La grande force des chrétiens c’est le dogme unique, du coup en instaurant la tolérance totale ça veut dire aussi tolérance des hérésies chrétiennes (oui parce qu’à peine au pouvoir ils ont aussi commencé à persécuter leurs propres hérétiques…). Chaque hérésie venant diminuer le poids politique des chrétiens.
le début de la fin
Mais bon voila, toutes les choses ont une fin, il finit par caner sans avoir bien régler sa succession. Ça hésite un peu, un païen prend la pourpre, il meurt intoxiqué au monoxide de carbone, ça re-hésite un peu, et c’est finalement aux chrétiens que revient l’empire, retour à la politique de Constantin, définitivement.
On a vraiment l’impression qu’à partir de là tout se met en place pour la fin de l’empire romain. L’empire est de plus en plus scindé: A l’ouest, de grands domaines seigneuriaux quasiment autonomes et des frontières qui sont de plus en plus surveillées par des barbares qu’on a faits rentrer parce qu’on en avait marre de les combattre. A l’Est une bureaucratie impériale de plus en plus Bizantine, lourde, imposante, complexe et qui coûte cher.
Les avantages de la complexité de l’empire sont de plus en plus minimes par rapport à son coût, et à l’Ouest il faudra vraiment pas pousser bien fort pour que tout le monde lâche l’affaire, plie les gaules (haha), et fasse sans la bureaucratie impériale. Ça tombe bien l’Est avait pas franchement envie de venir donner un coup de main…
La thèse défendue dans ce bouquin est que les sociétés s’effondrent quand le coût de leur niveau de complexité dépasse les avantages apportés par cette complexité. Il pose aussi le fait que « l’effondrement » de l’empire romain d’occident a pas vraiment été une catastrophe pour la majorité de ceux qui l’ont vécu et qui s’en sont finalement trouvés mieux.
Le bouquin
Alors au final, ce bouquin ?
bah écoute, pas mal. Maintenant probablement incomplet, trop centré sur l’histoire des empereurs et des armées et un peu court sur les aspects sociétaux (qui sont quand même traités, mais qui auraient pu faire l’objet d’un peu plus de pages). Ca manque aussi (dans cette édition au moins) un peu de cartes plus claire et d’une chronologie et d’index thématique. En tout cas, une bonne introduction sur cette période que je connaissais pas vraiment.