Une Autre Fin du Monde Est Possible – Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Gauthier Chapelle
La collapsologie (étude de l’effondrement des sociétés humaines), voilà un bon petit sujet bien à la mode! Bon du coup j’ai lu ça récemment, je te racontes ce que j’en penses.
Le livre
Quelques lectures préalables
L’effondrement des sociétés est un sujet qui m’intéresse un peu, et sur lequel j’avais déjà lu quelques livres. A savoir principalement:
- L’Effondrement des Sociétés Complexes, de Joseph A. Tainter,
- et Effondrement de Jared Diamond.
Les deux sont des bouquins qui développent chacun une analyse d’effondrements passés (les Mayas, le Groenland, l’ile de Pacques, l’Empire Romain, etc.) et proposent une vision théorique permettant d’expliquer ces effondrements (Le rendement décroissant de la complexité dans un cas, et l’impact environnemental des sociétés dans l’autre).
Les deux sont très intéressants, et pour moi, pas irréconciliables du tout même si ils partent dans des directions différentes.
Mais bon on est pas là pour parler de ces deux là. Leur lecture est un plus pour comprendre le sujet, mais elle n’est pas strictement nécessaire, je les mentionnent plus parce qu’ils ont préformé ma compréhension du sujet.
Une suite …
Bon donc pour revenir au sujet, « Une Autre Fin du Monde est Possible » est un livre qu’on m’a offert. Pas que ça change grand chose (je sais tu t’en fou), mais en fait c’est surtout que ce livre est, à priori, plus ou moins la suite de « Comment tout peut s’effondrer » des mêmes auteurs.
Du coup je lis une suite sans avoir le début, et ça aussi, ça influence ma perception des choses…
En short le livre prend pour acquis que la société dans laquelle nous vivons (capitalisme, technologie, industrie) est sur le point de s’effondrer pour nous amener, dans le meilleur des cas, à une société plus sobre et plus compatible avec la vie sur cette planète; et dans le pire des cas à la fin de l’humanité.
A partir de là, il propose des réflexions sur comment faire évoluer nos façons de penser, et d’agir pour « bien vivre » cette transition inéluctable.
L’effondrement qui vient ?
Alors d’accord, mais bon pour traiter ce sujet, il va falloir se pencher sur la question de oui ou non est ce que tout va s’effondrer, là, maintenant ? Et comme j’ai pas lu le premier bouquin, bah on va faire avec les moyens du bord (ma connaissance légère sur le sujet). Alors on va tous mourir ? et d’abord ca veut dire quoi effondrement ?
C’est quoi un effondrement ?
Globalement, je pense que la bonne définition c’est: une réduction de la complexité.
On pourrait peut être rajouter le qualificatif de « soudaine« : Une soudaine réduction de la complexité. Sauf que bon en fait, à priori c’est pas vraiment si soudain que ça d’après les enseignement historique qu’on a.
C’est plus un processus lent qui dure quelques dizaines, ou centaine d’années qu’une apocalypse zombie qui défonce tout dans la semaine.
Notez que Réduction de la Complexité, ça sonne plus positif que Effondrement. Dis comme ça, qui n’a jamais été confronté aux rouage d’une bureaucratie et souhaité une soudaine réduction de la complexité ? C’est pas neutre (ni dans un sens, ni dans l’autre) et ça fait partie des critères qui peuvent en partie expliquer l’attrait que possède la thématique de l’effondrement.
Réduction de la complexité, ca veut dire quoi en vrai ? bah en gros on lâche les activités qui demandent des gens très spécialisés, du travail en grande quantité, des ressources rares, des connaissances poussées, des structures sociales de grande envergure, une culture fine, pour se concentrer sur des trucs plus fondamentaux : manger, boire, dormir.
Et évidemment ça peut se faire par degré, c’est pas tout ou rien. Mais archéologiquement et historiquement ça se traduit par des signes genre: plus de trace de bâtiments complexes, villes abandonnées au profit des campagnes, disparition ou réduction des traces écrites, et évidemment signes de diminution de la démographie, etc.
Un effondrement imminent ?
Et alors quels sont les signes qui font qu’apparemment on serait à la veille d’un effondrement ? pourquoi c’est la mode ?
Bah en gros, et même sans avoir lu le livre « comment tout peut s’effondrer », je dirais que les facteurs principaux sont:
- Le changement climatique, qui promet de mettre un beau bronx à certains endroits, voire même un peu partout en fait, et qui est surtout sources de nombreuses incertitudes (sur ses effets, pas sur ses causes). Dans les versions les plus badass des effets, le truc s’affole dans une boucle à rétroaction positive et on termine avec une planète inhabitable. Et dans les versions soft bah on en chie un peu, mais ça va.
- La sur-exploitation des ressources par nos sociétés qui sont hyper dépendantes, du pétrole et des hydrocarbures, mais aussi de plein d’autres ressources non renouvelable, ou renouvelable qu’on défonce (genre les sols).
- La disparition de la bio-diversité, qui a déjà salement commencée à un rythme bien véner, alors que certaines de ses petites bêtes nous rendent des services gratuits, invisibles, mais essentiels (abeilles, vers de terre, etc.)
Ces trois facteurs sont à la fois tous indépendant dans leurs causes (la disparition de la bio-diversité ne s’explique pas directement et uniquement par le réchauffement climatique ou la sur-exploitation des ressources) et tous interconnectés (lutter contre le changement climatique peut nécessiter de défoncer encore plus les ressources et la bio-diversité).
A cela s’ajoute le fait qu’on vit dans une société très très complexe, très interconnecté et interdépendante. Du coup si une masse critique de problèmes locaux se produisent en même temps, c’est potentiellement tout le système qui plonge.
On va tous mourir ?
Bah oui, évidement, et il est bon d’en avoir conscience.
Cependant, est-ce que la société tel qu’on la connait va s’effondrer de façon imminente ? bah je crois qu’en fait on sait pas trop.
Il y a évidemment des signes qui montre que ça pourra pas durer infiniment. Pour autant combien de temps ? et qu’est ce qui va réellement s’effondrer ? je pense qu’on sait pas trop, sinon ça serait plié.
J’ai envie de dire que malheureusement, nos sociétés peuvent assez bien s’accommoder de la disparition de beaucoup d’espèces. Qu’elles peuvent aussi bien s’accommoder de la mort de millions/milliards de gens (en fait elle se sont même bâtie là dessus) parmi les plus exposés au réchauffement climatique (ça tombe bien c’est d’abord chez les pauvres que ça va taper dur). Et qu’on peut encore continuer à exploiter les ressources encore un moment (le meilleur exemple est le pétrole, même si le fameux pic pétrolier est probablement déjà passé pour les pétroles conventionnels, on a encore large de quoi faire avec les pétroles non conventionnels, ça dégueulasse tout et ça bute plein de trucs, mais si c’était ça qui nous arrêtait, ça ferait longtemps qu’on aurait arrêter).
Il y a certes des gens (comme les auteurs du livre) qui nous disent que l’effondrement est imminent, mais il y en a toujours eu. Et dans nos sociétés, cela devient, comme tout, un produit, une marchandise, un spectacle, qui fait vendre…
Et il faut reconnaître que la thématique des effondrements de société est très très cool. De l’effondrement de l’Empire Romain, aux cités abandonnées des Mayas, de Mad Max à toutes les apocalypses zombies… Le truc est tellement vendeur qu’il y a même tout un chapitre complètement pété sur le sujet dans le livre le plus imprimé de tout les temps …
Peut on être d’accord avec les conclusions sans accepter les prémisses ?
Donc voilà, j’aime bien le sujet de l’effondrement. Je pense qu’à moyen – long terme c’est évident qu’on va y passer. Des fois j’aime même bien me faire un peu peur en pensant que c’est peut être imminent. Et pourtant j’y crois pas vraiment.
Est ce qu’il y a pour autant des choses intéressantes dans ce livre (qui ne traite pas vraiment de savoir si ça va péter ou pas, mais plutôt de changement de vision et d’attitudes) ? Bah oui.
Psychologie de la catastrophe
Il y a toute une première partie sur la question de comment accueillir la catastrophe, et son impact psychologique.
Bon évidemment la question se pose vraiment que si on est convaincu qu’on va à l’effondrement. Et alors le livre propose des pistes pour ne pas désespérer. C’est un truc qu’ils nomment le « pessimisme actif ». Bon je vais être franc j’ai été moyen convaincu, mais la démarche est intéressante.
Intégrer d’autres façons de voir
Au delà de ce petit aspect « guide de survie psychologique », l’essentiel du bouquin se propose de faire évoluer nos façon de voir les choses, en amont de la catastrophe. Pour l’éviter, ou mieux la vivre.
Plusieurs aspects sont traités, et selon moi certain sont plus intéressant que d’autres.
Repenser notre rapport à la science
Il y a d’abord tout un passage sur le besoin de faire évoluer les pratiques scientifiques. De lier la recherche avec plus d’action (voire de militantisme) et de lui donner un côté plus participatif.
Franchement j’ai pas été hyper convaincu. Je veux dire, en le lisant c’est pas choquant, mais je me suis dit autant « oui, ok, pourquoi pas ? » que « oui mais pourquoi en fait ? ».
Repenser notre rapport au passé
Une partie qui m’a plus parlé est le besoin de changer nos récits historiques fondateurs pour mieux prendre en compte l’histoire réelle de notre espèce.
C’est un truc dont j’avais déjà parlé ici : sur l’histoire de l’humanité, les structures dans lesquels on vit (capitalisme, état, voire même agriculture) sont très très minoritaires.
Je pense qu’il est intéressant de réaliser que l’essentiel de notre histoire est celle de petits groupes de chasseurs cueilleurs et qu’ils étaient pas plus con que nous. Sans idéaliser leur mode de vie ou vouloir y revenir, il y a sans doute des trucs à apprendre de ce côté là.
Repenser notre rapport à la nature
Là aussi j’ai assez bien adhérer : oui je pense qu’il faut repenser notre rapport à la nature et sortir autant que faire se peut de notre anthropocentrisme.
Tous le vivant terrestre est littéralement, biologiquement, une même famille. L’homme est un animal comme un autre, ni mieux ni pire. On ferait mieux de s’en souvenir et d’arrêter de croire qu’on est spécial, et que ce qui concerne les autres espèces ne peut pas nous arriver.
On ferait sans doute bien aussi d’essayer de jouer un peu plus collectif, dans la nature les mécanismes collaboratifs sont tout aussi important que les mécanismes de compétition.
Repenser nos organisations
Bon là le livre commencer à raconter que la hiérarchie est un frein à l’entraide et propose de sortir des structures hiérarchiques si présentes dans nos sociétés.
Du coup, bah évidemment je suis plutôt d’accord avec tout ça. Bien sure qu’il faut aller vers des organisations plus anarchistes, des groupes affinitaires d’humains à l’échelle locale et des réseaux dynamiques et décentralisés à l’échelle globale.
Je vois pas le rapport avec l’extinction, la fin du monde tout ca, mais oui je suis d’accord.
Repenser notre rapport à la spiritualité
Même si je suis assez solidement athée, je suis finalement assez d’accord sur le fait qu’il faut travailler autour de la spiritualité.
Le besoin de spiritualité existe dans toutes les cultures humaines, clairement à un moment ça a été un sous produit d’un avantage évolutionnaire et on peut manifestement difficilement s’en abstraire totalement.
Du coup peut être qu’il vaut mieux assumer le truc pour mieux le contrôler. Quand on mets nos cerveaux en pilotage automatique (c’est à dire 90% du temps au moins), on fonctionne par croyance, rituels, le plus souvent sans rationalité.
Dans notre société, le modèle de réalisation de soi (c’est à dire la spiritualité dominante) est le consumérisme, la religion de la croissance. Elle vient remplacer les religions monothéistes (qui sont toutes des totalitarismes) qui ont régné pendant au moins les 1500 dernières années, mais bon c’est pas beaucoup mieux.
Peut être qu’il faut accepter de regarder, rationnellement, des spiritualités potentiellement moins nocives et plus alignées avec nos aspirations. Il y a sans doute des choses à aller chercher du côté des paganismes, chamanismes et polythéismes.
Il y a aussi sans doute besoin d’accepter, à une échelle moins grandiloquente et loin de toute prétention à une métaphysique, l’utilisation de rituels pour formaliser et unir les groupes, simplement parce que c’est opérationnellement efficace.
Repenser notre rapport au genre
Enfin, le livre propose aussi de redéfinir le rapport au genre, de revaloriser les « qualités » qui ont été dépréciées en les associant au féminin : l’intuition, l’expression du ressenti, l’empathie, etc…
Oui, bon, bref, sortir du patriarcat et de ses catégories et rôles assignés complètement mortifères. Encore une fois je vois pas forcément le rapport direct avec la fin du monde ou la choucroute, mais évidemment c’est souhaitable.
La politique de la peur ?
Du coup voilà je suis assez partagé sur ce bouquin. Je suis globalement d’accord avec les conclusions: le besoin de repenser notre rapport au passé, notre place dans la nature, nos organisations et structures, notre rapport au genre ou à la spiritualité.
Pour autant est ce que tout cela est nécessaire à cause d’une menace d’effondrement de la civilisation ou d’extinction de l’espèce ? bah je dirais non, ça me semble souhaitable quoi qu’il arrive. Après clairement sortir du capitalisme, de la surexploitation de la nature, abandonner la hiérarchie, repenser nos spiritualité et sortir du patriarcat, constituerai, en soi, quelque part un effondrement de notre civilisation.
Du coup je m’interroge un peu sur pourquoi parler d’effondrement ? est ce que le but est de provoquer ces changement en jouant sur la peur (ce qui me semble éthiquement discutable ?) ou est ce qu’il y a vraiment une craintes légitimes d’effondrement chez les auteurs ? Sans doute un peu des deux.
A titre personnel je me sens plus attiré par une tentative de rendre ces changement désirables que par une tentative d’en appeler à la peur. Ca tombe bien le prochain livre que je chroniquerai ici propose justement une vision qui joue sur des affects beaucoup plus positifs… à suivre !