Au commencement était… – David Graeber & David Wengrow 2/3 – Un nouveau cadre pour penser l’état

Au commencement était… – David Graeber & David Wengrow 2/3 – Un nouveau cadre pour penser l’état

On continue la série sur le livre « Au commencement était… » de David Graeber et David Wengrow. La dernière fois on a vu comment le livre remet en question les grands mythes des origines et propose une approche plus scientifique pour l’analyse des origines des sociétés humaines. Aujourd’hui on va voir ce qui me semble être un des apports principaux du livre.

Car le livre ne se contente pas de faire un gros bashing de concepts existants. Il propose de nouvelles choses. Et le principal apport théorique est sans doute une nouvelle façon de conceptualiser ce qu’est un état. Si la notion de ce qu’est un état aujourd’hui est assez intuitive, cette approche intuitive pose un problème : à partir de quand peut-on parler d’état pour des sociétés passé ? Quels en sont les caractéristiques objectives ?

Libertés et dominations fondamentales

De façon assez logique pour un/des penseurs anarchistes la définition de l’état s’appuie sur une définition de libertés et dominations. Alors quelles sont les libertés fondamentales ? pour cela le plus simple semble de réfléchir à que faire face à un état oppressif ?

3 options :

  • Désobéir
  • Se barrer hors de l’influence de cet état
  • Changer l’organisation sociale, l’ordre de la société.

Face à ces trois libertés fondamentales, quels sont les outils de domination qui permettent de s’y opposer ?  

  • La violence, simple, efficace, basique : « tu veux désobéir ? te barrer ? tout changer ? » bam mandale dans ta gueule. On voit bien…
  • Le savoir, qu’il soit religieux ou technique il permet d’exercer une contrainte plus souple mais très réelle : « Ah tu veux te barrer ? mais seul moi sait comment trouver à manger, et sans mes prêtres pour apaiser les dieux tu n’as aucune chance. »
  • Le charisme, la contrainte est encore plus douce et la menace n’a même pas à être formulé, si tu restes et que tu obéis c’est bien parce que tu aimes ton chef au fond tu voudrais même être comme lui.  

Les 3 aspects de l’état moderne

C’est à présent ces trois formes de domination qui nous donnent différents aspects des états modernes 

La Souveraineté 

c’est-à-dire la possibilité de contraindre les actions par la violence « légitime » de l’état. Bon, je pense qu’on voit tous bien ce que c’est. C’est marrant, avec la violence pas besoin de longues explications…

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La Bureaucratie 

Elle seule donne à l’état possibilité de démultiplier le contrôle sur un large territoire et une large population. (note, je renvoie d’ailleurs au livre de David Graeber sur le sujet)

Elle s’appuie sur le contrôle de l’information. C’est-à-dire la manipulation d’un savoir religieux ou technique dont une part n’est accessible qu’à des initiés. (et il suffit d’ouvrir une déclaration d’impôt et toutes ses annexes pour comprendre que ce côté « savoir inaccessible » n’a pas disparu avec les cultes à mystère).

La compétition politique 

Qu’elle soit « démocratique » ou « politique héroïque », elle permet l’apparition et la distinction d’une élite / aristocratie qui assure sa reproduction sociale.

Cette reproduction de l’élite passe par le contrôle des différentes formes de capital : économique, mais surtout social et culturel. Le « charisme » n’étant souvent rien d’autre qu’une juste maitrise des codes culturels et un bon réseau social de connaissances et d’influences.

Sociétés de 1er et 2ème ordre

Là ou cette définition en 3 aspects est intéressante, c’est qu’elle fournit plusieurs « routes » pour une société pour se rapprocher de l’état. On distingue alors les sociétés qui ne sont pas des états en société de 1er ou 2nd ordre selon qu’elles ont 1 ou 2 des aspects de l’état.

Le livre fournit des exemples éloquents de sociétés anciennes qui peuvent être considéré de 1er ou de 2nd ordre, selon les différents aspects qu’elles présentent. J’ai noté :

Exemples de sociétés de premier ordre :

  • Les Olmèques, peuple avec concurrence politique forte (jeu de balle) mais sans souveraineté ni bureaucratie réellement développée.
  • Les Chavín de Huántar : peuple ou le pouvoir était basé sur des secret ésotérique (bureaucratie) mais sans souveraineté ou arène politique manifeste.
  • Les Natchez : peuple avec souveraineté (chef/roi ayant un pouvoir de vie ou de mort sur ses sujets) mais sans bureaucratie ou arène politique (hors de son entourage immédiat le chef perdait tout pouvoir).

Exemples de sociétés de second ordre :

Elles combinent deux des trois principes de contrôle. Elles apparaissent aussi comme caractérisées par des arrangements sociaux beaucoup plus violents et parfois instable (ayant tendance soit à évoluer en état, soit à retourner au premier ordre).

  • Souveraineté et bureaucratie : Ce sont les caractéristiques qu’on reconnait aux « premiers états » traditionnel. Le livre cite en exemple l’Egypte. Pharaon et son administration contrôle tout, mais il n’y a pas de classe politique, de compétition charismatique à proprement parler.
  • Souveraineté et compétition politique : Le livre cite en exemple les Mayas, leurs chefs sont tout puissant et se livre à une compétition violente, mais il n’existe pas de système d’administration développé qui permettent d’étendre cette domination au-delà de cité état ou petits royaumes.
  • Bureaucratie et compétition politique : Le livre donne en exemple les souverains mésopotamiens qui prenait le contrôle de ville globalement autoorganisée. Ceux-ci n’avaient qu’un pouvoir réel assez limité sur l’organisation et le fonctionnement des villes et de leurs institutions.

Quel(s) chemin(s) vers l’état moderne

A partir de là, on a plusieurs cheminements possibles imaginables vers l’état moderne, à mesure que les différents aspects de la domination étatique se mettent en place.

On a la vision traditionnelle, ou le besoin d’administration pour faire fonctionner les systèmes d’irrigation complexe se traduit par la mise en place d’un système hiérarchique fort, menant à la compétition politique :

Bureaucratie -> Souveraineté -> Politique charismatique.

Mais on a aussi une variante ou des sociétés ont pu s’autoorganiser de façon égalitaire pour faire fonctionner ces systèmes complexes. Avant d’être conquise par leurs voisins, chasseurs cueilleurs violent (les « barbares ») qui leur ont imposer in fine un système hiérarchique fort

Bureaucratie -> Politique charismatique -> Souveraineté.

Ou encore une variante dans laquelle des individus « hors norme » se voit confier peu à peu un pouvoir exceptionnel pour des raisons culturelle, et qui finissent par mettre en place les moyens de leur domination.

Politique charismatique -> Souveraineté -> Bureaucratie.

Vu comme ça, cette vision pluraliste des chemins est bien plus convaincante que la vision traditionnelle d’un enchainement « simple » et linéaire (bande, tribu, chefferie, état), qui rend l’apparition de l’état moderne inexorable à partir du moment ou une société augmente en taille.

Le modèle traditionnel (Fried, Service, Redman) attaqué par Graeber et Wengrow

Mais elle pose une question subsidiaire essentielle : si plusieurs chemins sont possibles, et si certaines sociétés se sont arrêtées avant le stade final ou y ont renoncé, pourquoi sommes nous restés bloqué au stade étatique dans nos sociétés ?… à suivre !

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