481-888 La France avant la France – Geneviève Bührer-Thierry, Charles Mériaux.
Si les derniers articles parlaient de lectures rapides, on est là à l’inverse sur un livre qu’il m’aura duré plus d’un an (et l’écriture de l’article aura, elle aussi, pris une plombe). Mais (au moins pour la partie lecture) c’était volontaire, je l’ai lu par petite touche et il se prête bien à ce type de lecture. Et après tout, pour couvrir plus de 400 ans d’histoire il faut bien y passer un peu de temps.
Une collection superbe
Ce livre est le premier de la collection Histoire de France des éditions Belin. C’est une collection absolument superbe qui présente l’histoire de France de 481 à 2005 en treize volumes. Le texte y est accompagné de nombreuses illustrations (cartes, peintures, documents, photo…) superbement présenté. C’est vraiment un régal à feuilleter et je n’ai pas pu résister à l’envie de commencer la collec.
D’ailleurs c’est typiquement le genre de livre dont on peut profiter rien qu’en mode « consultations aléatoire », en piochant un passage ici ou là. Enfin, j’essaye quand même de lire ces livres de bout en bout. Et au final je regrette pas, c’est vraiment agréable à lire par petite touche et les illustrations sont vraiment sympa (du coup, oui j’ai déjà commencé à accumuler la suite pour l’instant jusqu’à 1453, ce qui devrait déjà me tenir un moment).
Les Mérovingiens et la longue fin de l’Empire Romain
La première partie de la période correspond à l’époque des mérovingiens (Clovis, Dagobert et compagnie), mais plus qu’une rupture nette avec l’Empire on s’aperçoit en fait que la transition est lente et diffuse entre le monde antique et le haut moyen âge.
La continuité par les Barbares
Paradoxalement les premiers éléments de continuité entre l’empire finissant et le haut moyen-âge sont les royaumes barbares.
Ceux-ci, loin de se constituer sur des invasions brutales et rapides qui auraient remplacé les institutions impériales, font en réalité parti de ces institutions impériales. Les barbares ont rejoint l’Empire Romain comme mercenaire, ils ont été installés sur les terres de l’Empire, et la fonction de Roi est avant tout un titre de chef de guerre donné par le pouvoir Romain.
Je recommande à nouveau sur ce sujet la conf de Bruno Dumézil dont j’avais parlé ici il y a longtemps.
Ainsi on a un empire romain qui se délite peu à peu, et des chefs militaires locaux dont l’influence et l’importance augmente petit à petit. Mais la base de leur pouvoir et de leur légitimité vient initialement des accords avec Rome. Et ils s’appuient encore longtemps sur cette base, se voulant représentants de l’Empire même après la « chute » de Rome.
De leur côté, les anciennes élites romaines se « barbarisent » aussi sans doute pour s’adapter culturellement aux nouveaux représentants. Si bien que les anciennes et nouvelles élites fusionnent.
La continuité par l’Eglise
L’autre élément de continuité c’est l’église.
Loin d’une horde de païens déferlant sur l’Empire, les rois barbares se sont converti assez facilement au christianisme, qui présentait d’importants avantage politique : religion officielle de l’Empire c’était un bon moyen d’intégration et aussi un formidable outil de justification du pouvoir royal.
De leur côté, les anciennes élites romaines, ont trouvé dans la fonction d’évêque, une position de pouvoir bien pratique. C’est ainsi que les grandes familles ont rapidement trusté les postes épiscopaux. Elles s’en sont servi pour prendre le contrôle des villes, qui passent à priori globalement sous le contrôle de l’évêque.
Religion des élites, le christianisme est peu à peu imposé aux campagnes. Mais il est surtout utilisé pour conforter son statut. Il offre du Capital Symbolique avec la fondation d’églises et de monastères qui apporte du pouvoir à la famille et même la possibilité d’accéder au statut de Saint.
Peu à peu, l’église propagée par les dominant réalise un maillage du territoire et paradoxalement sape de la puissance royale : monastères et épiscopat échappent aux taxes, affaiblissant en fin de période les rois Mérovingien au profit de grande familles nobles.
Au final on se retrouve certes avec un monde transformé avec des rois barbares qui assument le pouvoir militaire, qui distribue des terres à leur suite et des évêques qui règnent sur les villes. Mais cela se fait sans rupture nette et plutôt en continuité des tendances initiés à la fin de l’Empire romain (cf. le bas Empire).
La grande Faide Mérovingienne
L’autre truc que je retiendrais des Mérovingiens c’est le gros zbeul bien baroque de la grande faide.
Je veux dire, sur les Mérovingiens, on a tous plus ou moins en tête le baptême de Clovis, éventuellement Dagobert et le coup des rois fainéants, mais pourtant c’est vraiment laissé de côté la partie la plus fun de l’histoire. A savoir la méga guerre civile, sur fond d’assassinats, de guerre fratricide et de reines badass
En gros le truc commence quand le bon roi Chilpéric fait égorger sa meuf pour épouser sa maitresse, la jolie Frédégonde (ah oui les prénoms mérovingiens c’est tout un kif).
Mais voilà la gonz qu’il a buté c’est la sœur de la meuf de son frangin Sigebert, la fameuse Brunehaut. A partir de là bah ça part en couille pour 40 piges de guerre civile.
Le plus marquant dans cette histoire c’est vraiment la rivalité entre les deux reines, qui après avoir fait assassiner leurs maris respectifs, continuent en enrôlant dans le combat leurs fils, puis leurs petits fils.
A ce titre c’est Brunehaut qui remporte la palme jusqu’à ce que les nobles en aient marre et qu’elle finisse suppliciée, écartelé, démembrée, brûlée et enterré religieusement dans un monastère (ouai j’ai pas pigé si ça faisait partie de la punition).
Les Carolingiens, émergence et chute d’un Empire
Viennent ensuite les Carolingiens, qui s’installent, ont de grandes ambitions impériale… qui finissent en fait un peu à l’eau car leur Empire ne s’appuie que sur une aristocratie qui exploitera dès que possible l’occasion de leur piquer le pouvoir.
Les Pippinides à la Conquête du pouvoir
Je le disais plus haut. Peu à peu le pouvoir des rois mérovingiens s’effrite. Forcément quand la base de ton pouvoir c’est ta capacité à distribuer des biens aux autres et qu’ils peuvent ensuite mettre ces biens hors de porté en les donnant à l’église. Il arrive un moment où t’as plus grand-chose à donner.
Sur la fin de la période Mérovingienne c’est donc les grandes familles qui gèrent le game. Et notamment la famille des Pipinnide, qui petit à petit s’assure une place de premier plan. Pépin 2 prend le pouvoir effectif sur la Francie reléguant le roi à un rôle très subalterne, puis Charles Martel étend son pouvoir sur l’Aquitaine et la Provence (les bails avec les Arabes à Poitiers, c’est surtout pour piquer l’Aquitaine).
Ce pouvoir est basé sur les liens de vassalité (qui ont bien évolué depuis l’époque de la « clientèle » romaine) pour devenir un truc prestigieux ou tout le monde est vassal de tout le monde. Et pour s’assurer leur fidélité, Charles redistribue des biens à ses vassaux.
Mais malin, pour ça il confisque pas mal de biens de l’église (il fut d’ailleurs pour ça condamné à l’enfer par les évêques de l’époque).
Enfin c’est Pépin 3, le fils de Charles Martel qui accède le premier à la dignité de roi. Eduqué au Monastère, il en profite pour régler les désaccords entre sa famille et l’église. C’est un deal avec le pape qui le permettra : « tu m’aides contre les lombards et en échange je te fais roi ».
L’Alliance avec Rome: un projet théocratique
Et de fait la royauté Carolingienne apparait comme un projet presque théocratique. Le livre parle « d’une société qui se pense comme une église ». Le pouvoir de la royauté est justifié par l’église, et en retour l’église est plus unifiée et les évêques mis au pas. En somme une alliance du roi et du pape contre les grands.
Pour régler le problème des terres confisquées par Charles Martel, on trouve un arrangement : l’église redevient la propriétaire officielle, mais les nobles en garde le pouvoir et les bénéfices. En contrepartie de quoi est créé un petit impôt de 10% sur tout, qui revient à l’église : voilà la dime qui perdurera jusqu’à la révolution.
L’église est aussi plus unifiée, avec une liturgie unique, sous la direction de Rome (là ou apparemment, auparavant les Evêques pouvait faire un peu leur sauce locale).
Les religieux s’imposent aussi dans l’entourage du roi puis de l’empereur comme organisateurs et justificateurs du pouvoir royal.
Charlemagne, le fils de Pépin s’inscrira dans une totale continuité de ce point de vue-là. Il renouvelle l’alliance avec le pape, remet une branlée au lombard et obtiens son couronnement comme Empereur.
On notera tout de même avec amusement le petit coup de pute du pape Léon 3 qui couronne Charles avant le rituel de l’acclamation (qui désignait les empereurs romains), devenant ainsi le faiseur de roi officiel (à priori ce n’était pas tout à fait prévu dans cet ordre et Charles a bien eu les glandes). Même s’il y a alliance entre Rome et le roi, chacun joue son intérêt.
Un Empire qui ne tient pas
Les mérovingiens nous avaient régalé en guerre fratricide avec la grande Faïde Mérovingienne. Mais les Caroligiens, tout cul-béni qu’ils sont, ne sont pas en reste. Et c’est Louis le Pieu, fils de Charlemagne qui régale avec sa guerre de succession.
A la mort de son Père Charlemagne c’est lui le seul fils vivant, donc il rafle la mise sans difficulté. Il se dit qu’il va assurer le coup et prépare sa succession avec ses fils. Mais ça foire, nouvelle femme, nouveau fils, toi même tu sais… très vite ça part en fight et toute la famille se met sur la tronche.
A partir de là, s’en est fini de l’unité de l’Empire. La partie occidentale, qui deviendra le royaume de France est récupérée par Charles le Chauve, et il a de quoi s’occuper : invasion des vikings, guerre avec les bretons et les aquitains.
Mais c’est surtout la séparation des aristocratie locales entre les différents royaumes Francs qui signera la séparation entre les royaumes. Autant jusque-là, les grands propriétaires avaient des terres réparties un peu partout dans l’empire, autant après la guerre civile, les terres ont été regroupées, échangées et les aristocraties deviennent plus locales à chacun des royaumes.
Cette consolidation des aristocraties locales se traduira, à la mort de Charles et des fils, par un basculement dans une nouvelle période : la féodalité, ou les aristocrates prennent de fait le pouvoir au détriment de la puissance royale.
Un premier aperçu de la période
Voilà en gros ce que j’ai retenu de cette période. C’est sans doute très incomplet et partiel, mais ca doit donner une première idée de la période. Ce qui ressort pour moi, à la lecture de ce livre, c’est l’importance des luttes de pouvoirs entre grands et la transformation de la société pour cristalliser les 3 ordres typiques du moyen âge (et qui dureront jusqu’à la révolution).
Des luttes de pouvoirs qui structurent la société
La lutte de pouvoir entre les grands est évidemment omniprésente. Mais c’est surtout l’articulation de ces luttes, entre Rois et Aristocrates, Evêques et Papes que j’ai trouvé intéressante. On l’a vu cela donne lieu à des alliances et des mouvements. Je balance ça un peu en vrac mais ça m’a vraiment donné l’impression de flux et reflux de concentration du pouvoir.
- Le pouvoir royal émerge comme légitime car issus des anciens cadres militaires de l’empire romain, ayant le pouvoir militaire, il s’impose comme seul autorité légitime par la force.
- L’église aussi est héritière de l’empire et face au roi, le pouvoir épiscopale peut constituer une alternative de pouvoir local, par leur contrôle sur les villes, permettant aux grandes familles de s’émanciper du contrôle royal.
- Le pouvoir royale ne peut s’appuyer que sur celui de puissantes familles, vassaux dont il faut s’assurer la fidélité par des dons.
- Petit à petit les charges données par le roi deviennent héréditaires et une élite aristocratique et cosmopolite émerge avec un patrimoine foncier réparti sur tout l’empire. L’empire est un réseau de famille interconnecté qui maille le territoire.
- C’est un truc délicat à gérer, puisque si on donne trop on se retrouve à oilpé (comme les derniers mérovingiens) et la solution habile (celle de Charles Martel) sera de donner des trucs qui ne sont pas à soi. Il y a un très bon exemple de ça dans ce récent Thread Twitter
- L’église mets petit à petit des interdits (polygamie, remariage, inceste) qui répondent vaguement à des besoins moraux mais qui sont aussi une bonne occas pour récupérer les biens des nobles sans enfants légitimes.
- Le roi veut reprendre le contrôle sur les pouvoirs des évêques et impose des Comtes qui peuvent contrer ce pouvoir à l’échelon local.
- Mais les comtes aussi doivent être contrôlé, alors on leur adjoint des échevins et on leur envoi des missi dominici
- L’émergence des Monastères, est aussi une façon de contrer le pouvoir des évêques et des comtes avec des abbés nommés par le roi. Et certains monastères n’hésitent pas à fabriquer de faux documents pour justifier de leur indépendance.
- Et enfin c’est l’alliance du roi avec le pape qui permet la hiérarchisation de toute la société et fournit une véritable idéologie : l’ordre de la société est divin et immuable, les charges sont un ministère pour dieu.
- A la fin de la période c’est l‘articulation de ces pouvoirs locaux avec le pouvoir royal qui change = féodalité.
Je trouve que cette période est intéressante pour ça : comprendre comment ces jeux de pouvoirs vont déboucher sur la structure sociale qui régira la société pendant quasiment les 1000 prochaines années.
Certaines solutions (comme la dime) à des conflits entre les différents échelons de pouvoirs resteront en place et deviendront des trucs super stable alors qu’à la base ça ressemblait plus à un arrangement négocié un peu vite sur un coin de table.
La mise en ordre de la société
Evidemment cette mise en ordre de la société à coup d’arrangement entre les différents puissants se fait sur le dos des petits.
C’est l’émergence de grands domaines qui appartiennent au seigneur. Mais vu qu’il ne peut pas tout exploiter par lui-même, il distribue des terres (les manses) à des paysans libres ou serviles qui peuvent l’exploiter pour leur famille mais qui doivent la corvée au seigneur (corvée plus importante pour les serviles)
Les hommes libres petit propriétaires doivent le service à l’armée, mais ils courent le risque de devoir se mettre sous la protection d’un grand, perdant à terme leur propriété et potentiellement leur statut d’hommes libre.
On observe donc une concentration des propriétés et une accaparation de plus en plus importante des ressources. Comme l’accès aux forêt nourricières, qui sont encore accessible sur cette période pour les hommes libres, mais qui deviendront bientôt la chasse gardée des nobles.
On sent aussi que l’utilisation massive de la religion comme outil pour justifier, centraliser et sacralisé le pouvoir des dominants va bien peser lourd dans les siècles à venir. Surtout pour ceux, hérétiques, païens, ou juifs qui n’étant pas dans la chrétienté, ne peuvent pas vraiment être dans cette « société qui se pense comme une église ».
2 réactions au sujet de « 481-888 La France avant la France – Geneviève Bührer-Thierry, Charles Mériaux. »
Intéressant en effet… Merci !
Merci 🙂