Pour une anthropologie anarchiste – David Graeber

Pour une anthropologie anarchiste – David Graeber

David Graeber est un auteur, anthropologue et anarchiste, dont j’ai déjà parlé ici, ou encore . J’avais lu « The Democracy Project » l’année dernière, et comme j’avais bien aimé j’en ai repris.

Ce bouquin est assez court, et s’interroge sur les liens existants ou possibles entre l’anthropologie, en tant que discipline académique et l’anarchisme en tant que philosophie politique. A la jonction donc entre les deux thèmes de prédilection du bonhomme Graeber, ce livre apporte je trouve un éclairage intéressant sur sa démarche.

Une science sociale pour les Anars ?

Le point de départ de son bouquin est une interrogation : il y a au niveau académique une science sociale marxiste, une science sociale libérale, pourquoi pas de sciences sociales anarchistes.

A cette question, le principal élément de réponse est qu’il n’y en a pas, parce que, quelque part il n’y en a pas besoin.

La philosophie politique anarchiste milite pour l’action directe, et la cohérence permanente des actions avec des principes simples: autonomie, liberté, entraide, respect de l’autre et de la différence. C’est une vision « par le bas »: il n’y a pas de vision de société idéale organisée d’en haut.

L’action directe, c’est pas que brûler les bagnoles des flics. Quand tu fais pousser tes tomates dans ton jardin plutôt que d’attendre gentiment que l’état interdise le roundup, c’est de l’action directe.

Du coup une science prescriptive n’a pas vraiment lieu d’être. Il n’y a pas besoin d’une discipline académique qui détaillerait ce qu’il faut faire. Et il n’y a pas non plus, contrairement au marxisme et au libéralisme, de volonté de créer et de formater un homme « nouveau » standardisé.

Le mouvement anarchiste n’a pas besoin d’une science sociale prescriptive, par contre il peut y avoir un intérêt pour une science descriptive: décrire l’état du monde et sa complexité, analyser, donner à voir les différentes façons qu’ont les sociétés humaines de s’organiser, fournir des armes critiques…

L’anthropologie, étudier l’autre pour se comprendre

C’est ce caractère descriptif qui fait de l’anthropologie une science adaptée au(x) courant(s) anarchiste(s) d’après Graeber, là ou la discipline académique phare du libéralisme ou du marxisme est pour l’un comme pour l’autre une science économique qui se veut prescriptive (même si les recommandations sont contraires entre les deux courants en question et les capacités de prédictions… discutables).

L’anthropologie, c’est quoi ? Une étude des sociétés humaines dans leur grande diversité sociale et culturelle. Elle s’appuie sur l’observation, le recueil de données de terrain (ethnographie), leur comparaison et analyse. Bref, étudier des peuples qui nous semblent très différents pour comprendre toute la complexité et la diversité des fonctionnements humains mais aussi ce qui nous rassemble.

Ça permet aussi de définir des concepts comme ceux de mythes, fétiches, cosmologies ou tabous. Autant d’histoire que les humains se racontent pour former et lier leurs sociétés. Bref, raconter toute l’irrationalité des comportements humains,

Ces concepts tout aussi valable nous concernant, mais ils apparaissent plus facilement en étudiant des cultures différentes car nous n’adhérons alors pas à ces concepts. On peut ensuite retourner ces armes critiques contre nos sociétés pour une critique de l’état, de la hiérarchie, du capitalisme, etc… Et les montrer alors pour ceux qu’ils sont : des constructions mentales qui n’ont pas nécessairement une réalité tangible, qui ne sont ni évidents, ni nécessaires, qui n’existent que tant qu’on leur accorde une importance.

Pas de manuel pour une (r)évolution

Disposer de cette arme critique permet de penser le monde existants comme un état dépassable, non définitif, une solution parmi d’autres d’organisations des communautés humaines (un truc dont j’avais déjà parlé là). Ca peut également donner une vision de ce que pourrait être une (r)évolution « anarchiste » de la société.

Pour les anarchistes la révolution ne se pense pas comme une prise de pouvoir (qu’on va plutôt chercher à abolir) mais plutôt comme une construction parallèle. Se retirer du monde et construire sa communauté autonome autogéré plutôt que de prendre le palais d’hiver (ce qui n’exclut pas nécessairement, en partant, de pousser un peu les ruines du vieux monde pour accélérer leur chute).

Fuck this shit! I’m out.

Un point de vue intéressant dans le bouquin est d’ailleurs le fait que certaines institutions peuvent sembler exister tout en étant en réalité une coquille vide, un mythe. Peut être qu’on arrivera un jour à un point où les états nations existeront toujours mais n’auront plus aucun pouvoir réel, juste un vague pouvoir symbolique anecdotique comme le chef d’une tribu amérindienne.

L’image du spectacle de l’élection est de ce point de vue assez parlante. Comme le propose Graeber, après tout on pourrait bien continuer à élire des politiciens juste pour profiter du spectacle, il faudrait juste continuer à réduire l’impact qu’ils ont sur nos vies et réduire significativement le coût du spectacle en question (non parce que c’est marrant leurs conneries mais c’est cher quand même).

Fun fact/ Rien à voir: Graeber a (aussi) écrit une super analyse de Buffy… #toutélié!

L’élection alors pourrait avoir un rôle socialement très sain, attirer les individus, un peu inadaptés, en manque de reconnaissance et de visibilité (il faut bien reconnaître que nos politiques ont quand même tous l’air d’être mentalement dans un état assez pathologique) et leur offrir l’illusion du pouvoir.

Bref, l’anthropologie peut ici aussi peut être aussi fournir des armes constructive, si on parle de recréer des communautés humaines il peut être utile de comprendre comment elles se créent, comment elles évoluent, et quels mythes elles vont avoir besoin de construire.

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