La République Romaine – Jean-Michel David

La République Romaine – Jean-Michel David

Aujourd’hui retour à un bouquin d’histoire antique, avec ce livre sur la République Romaine, de son apogée à sa chute et sa transformation en monarchie impériale.

Le Livre

C’est le livre 7 de la collection Nouvelle Histoire de l’Antiquité. J’avais jusque-là suivi l’ordre des livres du 1 au 4 (qui traitaient du monde grecque et que j’avais présenté ici au début du blog). Initialement je voulais suivre l’ordre plus ou moins chronologique et donc enchaîner avec le 6 (qui est censé traité des origines de la république Romaine) après le 4. Sauf que voilà le 6 est introuvable (je crois qu’il est jamais sorti en fait). Donc voilà Chewbacca vit sur Endor avec les Ewoks et je passe du 4 au 7.

C’est un livre académique, qui est vraiment centré sur la transformation politique de la République Romaine plus que sur l’histoire globale de la période. Là où justement j’avais bien aimé les volumes précédents qui essayaient de ne pas faire qu’une histoire des élites et qui couvrait des aspects plus culturels, religieux et sociaux.

D’un côté je trouve ça un peu dommage, d’un autre bah c’est pas déconnant avec le titre et il y a quand même de quoi faire. En fait je dirais même que tout le livre n’est écrit qu’autour d’une question centrale : comment la république aristocratique romaine se transforme inévitablement en monarchie impériale.

Au final ce choix de se concentrer sur une seule question permet de faire une analyse intéressante de l’évolution politique de la république romaine. Je pense que le bouquin est aussi assez accessible pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas trop la période, même si je connaissais déjà un peu le dérouler des événements et les grandes tendances pour avoir lu il y a quelques années un gros volume sur l’histoire de la république romaine. D’ailleurs, je recommanderai très largement ce bouquin qui est top, top, top (même si là aussi, dommage y’aura jamais le tome 2). 

Histoire Romaine des Origines à Auguste

Point de départ : la république aristocratique romaine

Pour apprécier la transformation de la république romaine en monarchie, encore faut-il savoir de quoi on part. le livre présente rapidement au départ les principes de la république romaine.

Cette présentation est un peu rapide et ne rentre pas dans les détails des magistratures, de leur origines et attributions. Si vous voulez une mise à niveau rapide, cette vidéo est pas mal :

Bref, le livre couvre ça plutôt rapidement pour se concentrer plutôt sur les bases sur lesquels s’appuient le pouvoir traditionnel des sénateurs romains :

  • Le capital économique
  • Le capital social
  • Le capital symbolique

Le Capital Economique

La richesse est clairement une source de pouvoir, la république romaine est fondée sur une division en classes censitaire, initialement basée sur le principe de « les riches contribuent plus à la guerre puisqu’ils peuvent payer alors que les pauvres ils peuvent même pas se payer d’armures, ils font rien qu’à crever bêtement, ils sont chiant ».

Les sénateurs sont évidemment les membres des familles les plus riches, et la société romaine désigne régulièrement des magistrats (les Censeurs) pour classer tous les citoyens en fonction de leur richesse.

Le Capital Social

Toute la société romaine repose sur le principe de la « clientèle » une relation réciproque entre puissant et l’inférieur, lié dans un échange de faveur, une confiance partagée et une loyauté. Les termes utilisés de « Patron » et « Client » sont je trouve assez trompeur car ils ont aujourd’hui des sens très différents. En fait je pense que le meilleur moyen de comprendre la relation de « Clientèle » romaine est encore de regarder cette scène du parrain.

Le pouvoir des sénateurs s’appuie largement sur leurs réseaux de clientèle. Ils peuvent mobiliser leurs « clients » pour obtenir leur soutien (lors d’un vote, mais aussi pour lever des fonds, des soldats, ou tout autre service), et réciproquement les « clients » s’adressent à leur « patron » et comptent sur lui pour défendre leurs intérêts.

Le Capital Symbolique

Le troisième pilier du pouvoir sénatorial est la « Dignitas » du sénateur : son aura de charisme lié au prestige de son nom, aux exploits de ces ancêtres réels ou supposés, à ses réalisations prestigieuses (victoires, conquêtes, constructions, distributions au peuple) ; à son charisme propre et à son respect des valeurs romaines.

L’objectif de ce gouvernement aristocratique est que les sénateurs soit pas juste les plus riches et les plus puissant mais bien les « Mos Maiorum » c’est-à-dire les « meilleurs ». C’est ce qui justifie également de leur confier la direction spirituelle de la cité (donc les prêtrises).

Ce principe contraint en pratique le comportement des sénateurs dans des normes pour essayer de les pousser à utiliser leur capital économique, social et politique pour augmenter le bien de la cité. Ça ira jusqu’à des lois normatives pour limiter « le luxe » (en gros les dépenses en fringues, bijoux et banquets) ou interdire certaines activités aux sénateurs (comme le métier d’armateur maritime, considéré comme trop lucratif : les sénateurs sont déjà riches, ils ont pas besoin de rechercher la richesse).

La Compétition Politique

Enfin, pour tenir tout ça il y a un principe global : la république est une compétition égalitaire entre les membres de l’élite.

Les institutions de la république ont été conçu pour limiter les pouvoirs (mandats limités à 1 an) et pour le partager (collégialités de toute les magistratures). La république romaine s’est construite dans une opposition à la monarchie dont elle découle. Le fait de vouloir s’imposer comme roi y est un crime.

Pourtant c’est bien progressivement vers la monarchie impériale que la république romaine se met à glisser. Un processus long (quasiment 200 ans) et graduel qui apparaît surtout comme une pente quasi irréversible.

Une Tragédie Classique

En réfléchissant un peu sur ce côté chute inévitable que m’a donné ce bouquin, je trouve qu’au final on peut assez bien caler ça sur le modèle de la tragédie classique en 5 actes. C’est évidemment réducteur et pas très sérieux, mais on va dire que pour résumer ça ira…

Acte 1 : Rome à la fin de la seconde guerre punique

Le premier acte correspond à l’exposition de la situation des personnages

Donc notre histoire commence au fait de la gloire de la république romaine : la seconde guerre punique. En très rapide ça donne ça :

Rome se frite avec sa grande rivale de l’époque : Carthage. Et Rome se fait bolosser sévère. Hannibal (le général carthaginois, pas le cannibale) traverse les Alpes avec ses éléphants (ce qui peut sembler un chemin assez indirect pour un mec venu de l’actuel Tunisie, mais il est passé par l’Espagne) et vient foutre le oaï en Italie. C’est chaud, mais genre vraiment. Rome échappe à la chute d’un poil de cul de cochon enflammé (oui ils utilisaient des cochons enflammé contre les éléphants, mais c’est une autre histoire… faut vraiment que j’arrête les digressions).

Au final c’est un général Romain, Scipion l’Africain qui ira porter la guerre chez les carthaginois et gagner la seconde guerre punique. Voilà bon Rome a gagné ! Et c’est que le début. A partir de là, Rome n’a plus vraiment de rivale à son niveau, elle va mettre toute la méditerranée à l’amende. Un exemple ? Le fréro de Scipion l’Africain tu sais comment on l’appelait ? Scipion l’Asiatique bah ouai boom l’Asie (actuelle Turquie). Dans les années qui suivent la seconde guerre punique c’est grand chelem pour Rome. 

En gros on passe de la partie rouge – orange à toute la partie jaune.

Seulement voilà…

Pendant la deuxième guerre punique, Rome a tellement bien faillit y passer qu’elle a dû faire quelque « aménagement ». La compétition entre égaux et le respect des magistratures, c’est cool, mais quand tout part en couilles des fois il faut s’avoir s’adapter. Du coup certains consuls ont vu leurs pouvoirs étendus et la durée de leur mandat poussé au-delà du terme habituel d’une année.

L’avalanche de victoires prestigieuses va aussi compliquer la compétition : quand pour peser dans le game il suffit de construire un aqueduc ou vaincre un petit peuple de barbare dans une montagne, ça va, mais quand les standards deviennent conquérir les grands royaume hellénistiques ou sauver Rome de la destruction, ça va devenir plus dur à égaler.  

Enfin de nouvelles idées arrivent de ces nouvelles conquêtes : philosophie, aspiration démocratiques ou figure du monarque hellénistique, tout cela arroser par les fortunes conquises risque bien de faire tourner quelques têtes. 

Acte 2: Les Gracques

le deuxième Acte voit apparaître l’élément perturbateur

Oui, bon en terme d’élément perturbateurs, Tiberius Sempronius Gracchus et Caïus Sempronius Gracchus, se posent là. C’est deux frangins, petits fils de Scipion l’Africain. Ils ont biberonné à la philosophie grecque et à la rhétorique.

Alors non, euh rien à voir, pas ceux là. J’ai jamais trop pigé pourquoi un aéropage de haut fonctionnaires néolibéraux avait pris le nom de deux Tribuns prônant la redistribution des terres agricoles.

Comme ils sont plutôt vifs, ils ont assez bien pigé que l’extension de Rome allait poser quelques soucis (et que potentiellement y’avait un nom à se faire en essayant d’y remédier). C’est quoi le souci ? bah c’est un peu technique, mais en gros, y’a trop de citoyens pauvres dans Rome, pas assez de petit fermiers (qui fournissent les meilleurs contingents de combattant) et d’un autre côté, la République est théoriquement propriétaire d’un paquet de terres (l’Ager Publicus) mais qui sont pas vraiment bien exploité. Du coup, bah y’a qu’à redistribuer, non ?

Et voilà c’est l’ainé, Tiberius qui s’y colle en premier, il se fait élire Tribun de la Plèbe et une fois élu, il y va à la bourrine : grand programme de redistribution des terres agricoles. Evidemment c’est le genre de politique qui te crée des ennemis. Oh trois fois rien, hein, juste tous les grands propriétaires terriens qui profitait de la situation précédente… et qui se trouve aussi être sénateur. C’est ballot. Enfin ce qui est ballot surtout c’est que le mandat de Tribun de la Plèbe il dure qu’un an, du coup quand il essaye de s’y faire réélire l’année suivante, hop émeute et assassinat à coup de banc (oui c’est une mort à la con, mais c’est vachement dangereux un banc).

 Dix ans plus tard, c’est le cadet Caïus qui relève le défi de mourir plus vite que son frère. Pour cela il suit la tradition familiale : élection comme Tribun de la Plèbe. Au départ il lance des réformes un poil plus fine que son frangin (mais dans la même veine), et ça à l’air de passer. Tu te dis presque, non c’est bon, il va s’en sortir en fait. Et puis sur la fin, c’est l’escalade : le gars balance carrément : « Et si on donnait la citoyenneté Romaine genre à tous les Italiens ? ce serait sympa non ? ». Les sénateurs voit évidemment rouge et paf Senatus Consultum Ultimum, le gars trébuche et tombe sur une dague.

Alors en quoi les Gracques sont-ils si perturbateurs ? Et bien deux aspects sortent du lot.

D’abord ce sont les premiers à lancer des politiques « populares », c’est-à-dire en quelque sorte à se retourner contre leur propre classe sociale (les sénateurs) même s’ils ne le font probablement pas dans ce but. Leurs réformes sont d’ailleurs objectivement plutôt utiles à la république et seront finalement reprises quelques années après par le Sénat). Ils découvrent alors qu’en s’appuyant sur la position de Tribun de la Plèbe et sur le peuple, on peut court-circuiter le cursus honorum (voie classique de la compétition aristocratique) et atteindre très vite une position de pouvoir et une grande renommée.

L’autre point clef, c’est l’entrée de la violence dans les pratiques politiques. L’ainé des Gracques a été tué plutôt salement, dans une émeute et en dehors de tout cadre légal. Pour le cadet, c’est peut-être encore pire : Rome a vu la mise en place d’une procédure nouvelle : le Senatus Consultum Ultimum, donnant tous pouvoirs au Consuls pour « régler la crise » y compris la mise à mort sans procès de citoyens et de sénateurs. Dans un cas comme dans l’autre, voilà deux « innovations » qui là aussi vont changer la donne de la compétition aristocratique.

Acte 3: Marius et Sylla

Dans le troisième acte, les protagonistes cherchent une solution au drame, tout paraît encore possible

A la mort des Gracques tout peut sembler être rentré dans l’ordre mais en réalité rien n’est vraiment réglé. Les tensions ne feront que s’accentuer dans les années suivantes autour des questions qu’ils ont soulevées : distribution des terres, évolution des magistratures, citoyenneté des italiens.

Le prochain à vraiment s’emparer de ces sujets avec succès sera Marius. Le gars se fait d’abord connaitre pour ses succès militaires. C’est un général brillant, qui remporte d’importantes victoires et réforme l’armée romaine (les résultats de ces réformes sont présentés entre autre dans cette vidéo). C’est surtout le premier à avoir l’idée de combiner son prestige militaire, son titre d’Imperator, avec des réformes « Populares » en s’alliant avec des Tribuns de la Plèbe.

Evidemment, tout ça ne se passe pas sans heurt, le sénat ne laisse pas vraiment faire et la question de la citoyenneté des italiens fini par déboucher sur la guerre sociale (c’est-à-dire Rome vs les autres cités d’Italie). Guerre que Rome gagnera, avant d’accorder finalement cette citoyenneté aux Italiens, élargissant considérablement le contingent des citoyens Romains.

Mais intégrer autant de nouveau citoyen ne se fait, là aussi pas simplement. Et cette question débouche sur une seconde guerre : la première guerre Civile. D’un côté Marius et les Populares, de l’autre, un autre général prestigieux : Sylla.

C’est Sylla et les conservateurs qui finissent par s’imposer, mais là aussi le « rétablissement » de la normalité passe par des innovations qui seront autant de coup de sape sur la pérennité des institutions. Pour rétablir la République, Sylla se fait élire dictateur (titre qui n’est pas encore péjoratif dans le cadre romain, mais correspond à une magistrature). Il mène alors une répression féroce sur les sénateurs du parti « Populares », avec un paquet d’assassinats, de spoliations et d’exils. Il abdique ensuite la dictature, y gagnant encore plus de prestige et fixant donc de nouvelles normes pour la compétition aristocratique.

Innovation politique – la proscription de Sylla : Donc là si y’a ton nom sur la liste, bah t’es mort.

Et oui, maintenant pour atteindre le sommet de la compétition aristocratique il ne suffira plus d’être consul et de triompher d’ennemis prestigieux, il faudra égaler Sylla et devenir un nouveau Romulus, fondateur de Rome.   

Acte 4: Pompée et César

Dans le quatrième acte, l’action se noue définitivement, les personnages n’ont plus aucune chance d’échapper à leur destin

On peut dire que pour ce quatrième acte, c’est à peu près plié pour la République avec les concurrents qui arrive là : le grand Pompée et César.

La compétition entre ces deux-là se met en place assez rapidement après le retrait de Sylla. C’est d’abord Pompée qui monte en puissance. Repéré par Sylla pour ses talents militaires, Pompée se fait une solide réputation de chef militaire et grimpe vraiment dans le top du game grâce à ses victoires en Orient.  

Face à lui César est un peu le challenger, il représente la remontée du parti des « Populares » et se fait vraiment remarquer pendant son consulat ou il met en œuvre des réformes « Populares » alors que la fonction de consul était jusque-là pensée comme typiquement conservatrice. En gros il est en mode : « même pas de besoin de Tribuns de la Plèbe, je suis un Consul à la cool moi ». Et évidemment ses petites affaires en Gaule en font ensuite un poids lourd.

Pendant un temps les deux trouvent un compromis en s’alliant à un troisième larron : Crassus, le vainqueur des guerre serviles contre Spartacus, qui aurait pu être un sérieux compétiteur s’il s’était pas fait
bêtement massacrer avec 7 légions dans la guerre contre les Parthes.

Mais au retour de Jules après 10 ans en Gaule, les choses sont assez clair Rome n’est plus assez grande pour Pompée et César, il va falloir trancher. Et c’est évidemment César qui s’impose (ce qui était pas forcément donné d’avance hein). Une fois seul au manettes, César se fait plaiz : il lance de grandes réformes et se place définitivement au-dessus du jeu républicain avec la dictature (initialement pour 10 ans, puis à vie). A ce stade, c’est pas encore l’Empire, mais la république est définitivement en mort cérébrale.

Acte 5: Marc Antoine et Octave

Au cinquième acte, l’action se dénoue enfin, entraînant la mort d’un ou de plusieurs personnages.

Mais bon voilà, il fallait un dernier sursaut alors César se fait assassiner, et c’est reparti pour un tour.

Cette fois ci les deux compétiteurs sont des proches de César. Ils se mettent d’abord d’accord pour éliminer les derniers die-hard républicain avait assassiné Jules. Puis évidemment ils se mettent rapidement à se tirer la bourre pour savoir lequel des deux est le plus César.

D’un côté : Marc Antoine, compagnon de César sur ses campagnes militaires, il a récupéré sa meuf (Cléopatre). Il forme avec elle un duo redoutable et son considérés dans tout l’orient comme l’incarnation de Dionysos et d’Isis.

De l’autre : Octave, un gamin adopté par César qui se montre redoutablement intelligent pour son jeune âge, qui a hérité de la fortune de son papa adoptif et qui contrôle l’occident y compris la ville de Rome.

La suite, bah je vous laisse voir ça :

Donc voilà, suite à sa victoire, Octave met définitivement fin à la République en institutionnalisant une position permanente et omnipotente, au-dessus du Sénat. C’est le début de l’Empire. 

Conclusions

L’évolution de la compétition politique

Si on reprend la grille d’analyse que j’ai posé en point de départ, on peut voir comment l’évolution des différents points conduit progressivement à la conclusion inéluctable :

Le Capital Economique

la richesse des familles sénatoriale augmente énormément sur la période, principalement à cause des conquêtes qui apportent des revenus directs (butin, tribu…) mais aussi indirectes (extension des propriétés, du commerce…).

Même si cette augmentation des patrimoines s’applique à tout le sénat (par contre clairement pas à toute la société) elle complexifie la compétition en plaçant les leaders vraiment loin devant en terme de fortune (des mecs comme César ou Pompée sont très loin devant en terme de richesse par rapport au sénateur lambda).

Le Capital Social

Là aussi le capital social s’accroit énormément du fait des conquêtes : des royaumes entiers (et pas des trucs de péquenot : des royaume riches et prospères) deviennent des « clients » des sénateurs qui les ont soumis. Autant dire que quand tu peux compter sur un ou deux rois et quelques provinces comme faisant partie de ta clientèle tu plombes un peu le fair-play de la compétition aristocratique.

Parallèlement c’est le principe même de la clientèle qui est remis en question. Si ça pouvait être un mécanisme de représentation efficace (i.e. j’ai un problème j’en parle à mon « patron » sénateur) à l’échelle d’une cité état, ça devient clairement inapproprié à l’échelle d’un empire. D’où la question permanente sur la période de la lutte contre la corruption et les abus sénatoriaux, l’élargissement de la citoyenneté aux italiens avec la guerre sociale, et la montée en puissance progressive de l’ordre Équestre

Le Capital Symbolique

Du côté du capital symbolique, la vielle « dignitas » du sénateur romain a été bien remuée également.

D’abord par la culture grecque et notamment la philosophie qui autorise la remise en question des autorités et de leur légitimité. Le fait d’être issu d’une famille patricienne et de respecter les valeurs de la cité ne suffit donc plus.

Diogène, inventeur des punks à chiens

Ensuite par l’apparition de nouvelles sources de légitimité qui viennent modifier la compétition politique :

  • Le courant « populares » qui s’appuie théoriquement sur la défense des intérêts du peuple de Rome (même si ça n’est évidemment qu’un prétexte)
  • Le modèle du monarque hellénistique, demi-dieu situé au-dessus de la cité, qui lui donne ses lois et la protège.
  • La figure de l’imperator, leader militaire non seulement victorieux mais plébiscité par ses troupes.

Les conditions de la compétition

Enfin c’est bien les conditions même de la compétition aristocratique qui sont modifiées, avec à mon sens, 3 tendances principales :

  • La normalisation des pouvoirs extraordinaires : Chaque crise est résolue en donnant temporairement des pouvoirs extraordinaires à certains chefs, ce qui forme peu à peu une nouvelle normalité, ou du moins un nouveau maximum du pouvoir à atteindre dans la compétition aristocratique.
  • La normalisation de la violence politique : A partir des Gracques, la violence s’installe progressivement comme nouvelle pratique normale de la vie politique. Sylla pousse le cran un niveau au-dessus avec « l’invention » des purges, et à la fin de la république l’émeute devient quasiment la norme politique à Rome.
  • La concentration de la compétition : Même si le nombre de sénateur augmente, la compétition se réduit peu à peu à un petit nombre de joueurs encore en mesure de s’opposer. C’est le résultat d’une compétition de plus en plus couteuse et difficile, et aussi celui de la consolidation en faction qui fait qu’au premier siècle avant notre ère, un sénateur ne peut plus quasiment plus exister individuellement dans le jeu en dehors d’une allégeance à l’un des deux ou trois leaders du moment.

La Réaction

Face à cette évolution on retrouve aussi une constante, c’est l’échec régulier des stratégies conservatrices.

Le truc commence avec Caton le Censeur, qui s’oppose au nouveautés culturelles importée de Grèce comme la philosophie ou le théâtre, parce que c’est pas purement Romain et traditionnel et que c’est rien que de la saloperie d’étranger qui corrompt l’esprit de la jeunesse.

Et il revient régulièrement avec l’assassinat des Gracques qui ont eu l’audace de vouloir faire une réforme agraire (qui se fera finalement) voire même de donner la citoyenneté aux italiens (ce qui se fera après la guerre sociale), ou encore avec Sylla (qui s’oppose à Marius initialement sur l’intégration des nouveaux citoyens dans les tribus romaine … ce qui là aussi se fera finalement).

Ça s’achève avec l’assassinat de Jules César qui loin de remettre la République sur pied signe plutôt sa fin puisqu’elle aboutit à la confrontation finale entre les deux prétendants restants.  

Bref à chaque fois les victoires temporaires des conservateurs se retournent vite contre eux parce que, soit pour gagner ils ont dû dénaturer la compétition en changeant les règles, soit ils finissent par mettre en place et normaliser les réformes auquel ils s’opposaient initialement.

Au final je pense que c’est surtout leur incapacité à créer un modèle alternatif qui signe leur échec. S’il semble qu’ils avaient bien vu que la république était en train de partir en sucette, ils n’y opposent qu’un retour au « bon vieux temps » qui n’est évidemment pas possible puisque le monde a changé.

Des enseignements ?

Bon alors est ce qu’il y a des enseignements à tirer de tout ça ?

Bah déjà il faut éviter toute transposition dans notre univers politique : on vit dans un monde bien différent et il ne faudrait clairement pas voir dans la république romaine un modèle quelconque. Ça reste une oligarchie élitiste dans un monde culturellement très différent du nôtre.

J’ai présenté le truc comme une tragédie en cinq actes, avec un destin inéluctable : la mort de la république, mais c’est évidemment uniquement un artefact de narration qui ne peut se faire qu’à posteriori. Bref c’est rigolo mais pas bien sérieux. Il ne faudrait d’ailleurs pas y voir une tragédie au sens « tristesse », objectivement le haut empire a sans doute apporté pour la majorité des gens qui ont vécu cette période une ère de tranquillité (la fameuse Pax Romana) largement préférable aux interminables guerres civiles de la fin de la république. Et pour le péquin moyen il n’y perdait rien en contrôle démocratique vu que sous la république le pouvoir était au mains de quelques familles riches.

Je dirais que l’enseignement principal est que l’élément qui semble sceller le destin de cette structure politique c’est l’impérialisme. A partir du moment ou Rome s’engage dans cette voie, les structures politique d’une cité état ne sont simplement plus adaptées pour contrôler un empire. Le processus de délitement est progressif, mais chaque pas en direction de l’impérialisme modifie les règles de la compétition (afflux de capital économique, social, et symbolique) et est donc un pas en direction de l’empire.

Voilà, bref un chouette bouquin, même si malheureusement il se concentre un peu trop sur l’histoire des élites sans nous en dire beaucoup sur la vie des gens ordinaires.

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