Histoire des Pirates et des Corsaires de l’Antiquité à nos Jours (G Buti, P Hrodej, et al.)

Histoire des Pirates et des Corsaires de l’Antiquité à nos Jours (G Buti, P Hrodej, et al.)

Ahoy ! souquez les artimuses ! aujourd’hui on va parler Piraterie. J’ai récemment terminé l’Histoire des Pirates et des Corsaires de l’Antiquité à nos Jours, ouvrage collectif sous la direction de Gilbert Buti et Philippe Hrodej, aux éditions du CNRS. Petit retour…

Avis général

Le livre, comme son titre l’indique, est une compilation de textes académiques sur la piraterie et les corsaires de l’antiquité à nos jours. Globalement, le livre m’a plu et correspondait à ce que j’attendais, même si je lui trouve quelques limitations.

Une approche historique et une large couverture

C’est une approche historique, pas un assemblage d’anecdotes et d’histoires ou légendes célèbres. Ce qui est très bien puisque c’est ce que je cherchais dans ce bouquin. J’ai déjà lu pas mal de bouquins traitant du sujet, que ce soit des récits d’époques plus ou moins historiques (Garneray, Oexmelin) ou romancés (Defoe) ou des trucs plus récents. Donc une approche plus académique et moderne m’intéressait.

Là ou tout à commencer pour moi :p …

L’autre point très positif pour moi du livre est son scope large. On va de l’antiquité, à maintenant en regardant aussi le moyen age, la période viking, les spécificités du corso méditerranéen, l’age d’or de la piraterie, les corsaires dans les marines nationales, le renouveau de la piraterie dans la fin du XXème, début XXIème, l’archéologie, et même un peu la récupération faite par la pop culture d’une thématique historique.

Les limites

J’ai quand même quelques réserves sur ce bouquin.

Mets toi bien copain, voila de quoi écouter pendant que tu lis.

Un peu plus de contextualisation

Tout d’abord, je trouve qu’il manque parfois un peu d’introduction et de remise en contexte. Certes c’est un ouvrage académique, mais il faudrait pas grand chose pour le rendre plus accessible. J’ai trouvé que sur certaines périodes, celles que je connais moins bien (XVème – XVIIème), un court passage en intro des chapitres pour remettre en perspective les grands conflits et enjeux de la période aiderait à mieux comprendre de quoi on parle… sinon on peut vite se perdre pour savoir qui est en guerre avec qui et pour quoi. Ca demande pas forcément beaucoup d’efforts d’aller faire un rapide check sur wikipedia, mais bon ca aurait pas forcément demander beaucoup de travail d’écrire une demi-page en intro de chaque chapitre.

Une compilation qui manque d’unité

L’autre critique que j’aurai, et le manque d’unité du bouquin. Quelque part ça se rejoint, j’ai quand même un peu l’impression d’un bouquin de feignasses qui s’est contenté d’assembler divers textes (dont certains déjà paru ailleurs) pour faire un livre, sans trop d’efforts de l’équipe éditoriale. J’aurai apprécié de retrouver une structuration similaire pour les différents chapitres/époques, histoire de couvrir les même problématiques et répondre aux mêmes questions pour pouvoir comparer et voire les évolutions. Ca n’est pas forcément évident car le phénomène évolue beaucoup aux cours des siècles, mais quand même je pense qu’on pouvait faire un peu mieux (là y’a des fois où d’un chapitre à l’autre, tu te dis, merde c’est con ils ont pas traité cette approche vue au chapitre précédent).

L’impact, des questions en suspens

Enfin, j’ai trouvé que le livre manquait un peu de niveau d’analyse sur l’impact réel de la piraterie ou de la pratique corsaire. Bon c’est pas forcément un truc facile à mesurer (pour le coup c’est beaucoup plus complexe que mes deux premières critiques). Mais j’espérais que le livre puisse répondre à des questions comme:

  • Est ce que la piraterie et la pratique corsaire ont été un jeu à somme nulle, économiquement quasi négligeable ou au contraire une force de ré-équilibrage économiques entre des puissances ?
  • Ou une mise en rapport de la pratique des armements corsaires avec la naissance du capitalisme (est ce que c’est juste une application comme une autre du capitalisme naissant, est ce un investissement comme un autre ? ou est ce que ça à jouer un rôle quelconque dans la mise en place des structures et pratiques ?)
  • Le rôle structurant de la pratique corsaire dans la constitution des marines nationales au XVIIIème siècle.

Le livre répond partiellement à ces questions, mais j’aurais aimé en apprendre plus et peut-être une approche plus thématique de ces questions.

Quelques considérations Piratologique

Je vais maintenant m’essayer à quelques considérations de Piratologie, en bonne partie basée sur ce que j’ai retenu du livre.

Définitions

Commençons par repréciser les définitions:

  • La Piraterie, c’est des agressions (vols à main armée) conduites depuis la mer sur des bateaux (et/ou sur les côtes) dans le but de s’enrichir. On parle de pirates si les agresseurs sont des personnes non directement affiliées à un état/une nation.
  • Les Corsaires sont des acteurs privés qui ont été autorisés par un état en guerre à pratiquer la course (piraterie) sur les navires et les côtes de l’ennemi. Cette autorisation s’appelle une lettre de marque.

La piraterie hors l’état

Cette distinction entre pirates et corsaires est assez importante puisqu’une partie de ce qui fait la spécificité du Pirate c’est sa capacité à exister en dehors du contrôle de l’état. Là où au contraire le Corsaire s’inscrit dans un cadre légal (autorisation des autorités, règles d’engagement et de partage des prises entre équipage, armateur et autorités).

Comme le dit le Capitaine Bellamy:

« Ils ne diffèrent de nous que parce qu’ils volent le pauvre sous couvert de la loi, et que nous pillons le riche sous la protection de notre seul courage. »

Pour autant, du courage et un bateau ne suffisent pas, le pirate ne peut survivre sans bases arrières où faire réparer son bateau, vendre le butin, recharger en eau, nourriture et hommes. Les conditions d’existence de la piraterie nécessitent donc des territoires qui sont à minima peu contrôlés par l’état.

« Ennemi de tous », le pirate s’extrait du cadre des royaumes et des états pour vivre, à la mer comme à terre, selon ses propres règles (et vu l’époque, elles sont souvent plus démocratiques et progressistes que celles des pouvoirs en place). C’est d’ailleurs ce qui le rend attractif et en à fait un succès de la pop culture: il représente la liberté, l’autonomie loin de l’état, voire l’utopie libertaire (libertalia).

la piraterie comme marqueur de l’apparition de l’état

Vu l’importance du rôle de l’état pour définir le Pirate, il est difficile de différencier Pirates et Corsaires avant l’émergence de l’état moderne. En fait, j’ai l’impression que l’apparition de la Piraterie permet aussi de faire apparaître en creux les phases historiques où l’état apparaît. Et à l’inverse dans les phases où l’état n’est pas vraiment constitué il est impossible de distinguer entre piraterie et corsaires.

Dans l’antiquité greco-romaine, la pratique pirate apparaît comme tel (et non comme des raids d’une nation sur l’autre) surtout à la fin de la république romaine. Les guerres sociales et civiles romaines ont permis au phénomène de se développer en relâchant le contrôle de Rome, et lorsque l’état veut reprendre la main et réaffirmer son emprise, il organise la lutte contre les pirates (par Pompée, puis Auguste).

L’évolution vers le phénomène corsaire est aussi un bon marqueur de la solidification de l’état. Au moyen age on voit apparaître les « droits de représailles », émit par les seigneurs locaux (permettant à un navire d’aller se servir chez le voisin en représailles d’une attaque passé). Et à mesure que l’état apparaît, ce droit devient un monopole royal (les lettres de marques), puis une organisation spécifique (amirauté) est mise en place avec des fonctionnaires pour gérer le bouzin.

La privatisation de la guerre

Ils ne me semblent du coup pas anodin que « l’age d’or de la Piraterie » soit concomitant avec l’apparition des états modernes.

Les origines de l’age d’or

A la fin du XVIème siècle, les conditions sont idéales pour la piraterie, ou plutôt la pratique corsaire. L’Amérique offre un terrain de jeu à la fois lointain (donc peu contrôlable par les Etats) et extrêmement riche. Les états occidentaux commencent à être suffisamment riches et structurés pour financer des expéditions, mais pas assez pour tout contrôler. Il y a pléthore de guerres pour trouver des occasions de pillages. Et enfin le traité de Tordesillas (qui limite les conquêtes officielles aux seuls Espagnols et Portugais), fournit une occasion parfaite pour trouver des alternatives à la colonisation pour capturer les flux de revenus du nouveau monde.

Dans une première phase cette piraterie est donc encouragé par les états (donc plutôt corsaire), mais très peu contrôlée réellement (à l’arrach quoi). C’est une privatisation de la guerre marine, à moindre coût. Les états qui n’ont pas encore vraiment les moyens de se payer des flottes de guerre et de mener de front la guerre sur mer et à terre, délèguent volontiers à des entrepreneurs privés.

Une petite entreprise en mer

Et c’est là que la question du rapport au capitalisme se pose aussi. Car ces opérations « corsaires » sont vraiment organisées comme des entreprises capitalistes. Derrière le capitaine corsaire, il y a l’armateur, mais aussi des investisseurs (assez souvent apparemment des nobles proches du pouvoir politique) qui ont financé l’opération et qui attendent un retour sur investissement.

Les règles de distributions des parts de prises (le butin) prévoient de rémunérer tout ce beau monde aussi inégalitairement que possible (évidemment le matelot qui risque sa vie va toucher quasiment que d’al et les financiers vont se goinfrer). Et on complète le tableau avec l’état qui prélève sa part (parfois assez astronomique, genre 50%) sur le butin en échange de la bureaucratie qu’il met en place pour permettre le développement du capitalisme.

Les pirates contre l’état

Les « vrais » pirates n’apparaîtrons que dans une seconde phase, post guerre de Trente ans (1648) et jusqu’au début XVIIIème (1720), quand les états commencent à remettre de l’ordre dans leurs colonies, ont les moyens de leurs ambitions avec des flottes dédiées et que les anciens corsaires passent à leur propre compte.

C’est là le véritable « age d’or » avec des Pirates, des vrais qui ne reconnaissent ni états ni patrie. Si il y a vraiment eu des « utopie pirates » avec constitutions de bord égalitaire et démocratique c’est sans doute sur cette période et il n’est pas impossible que ce soit une réaction directe à ce que ces hommes avaient connus de la structuration de l’état et du capitalisme.

Evidemment ils vont se faire tabass peu à peu par les marines des états…

Des corsaires aux marines nationales

Une fois ces pirates réduits au silence, c’est le règne des Corsaires de plus en plus proches des marines nationales (capitaines et bateaux passant du public au privé assez facilement, expéditions montées en partenariat entre public et privé, etc… ), jusqu’à l’extinction de la pratique qui n’était pas/plus vraiment rentable pour les investisseurs, ni efficace pour les états car leurs flottes se structurent de plus en plus.

Sidenote un peu random: Accessoirement d’ailleurs, il semble que les règles de distribution du butin aient eu un rôle assez structurant dans la période suivante (XVIIIème) pour la Royal Navy. En short, les règles étaient un peu moins pété qu’ailleurs (coucou la France) et un bon capitaine chanceux pouvait vraiment se faire grave de thune. Il est pas impossible que ça ait eu une influence sur la qualité globale de la royal navy (émulation et expérience accrue des jeunes officiers qui préférait avoir le commandement d’un petit bateau qu’un grade subalterne sur un gros navire).

le pirate c’est l’autre

Un autre thème amusant qui revient souvent, c’est le fait que le Pirate c’est toujours l’autre. Les raids, razzia et pillages sont plus souvent mentionnés du côté des victimes que des coupables. Et ce qu’un armateur va identifier chez l’ennemi comme un acte de piraterie sera, lorsqu’il fera de même de son côté, un petit arrangement avec la légalité ou justes représailles.

La pratique viking

Un cas assez représentatif du phénomène, c’est la pratique viking.

On a fini par identifier des peuples (les scandinaves du haut moyen age), avec une pratique relativement marginale chez eux. Techniquement le « Viking » est uniquement un individu qui participe à un raid de pillage, une activité assez limitée finalement pour cette civilisation, qui a connu beaucoup plus d’artisans, de commerçant et d’agriculteur que de « viking ».

Bon il se trouve par contre qu’ils avaient des bateaux sacrément évolués par rapport à leurs contemporains et que du coup, ils ont pu lancer des raids un peu partout. Comme ils avaient un peu tendance à en profiter en plus pour piller les églises, les chroniqueurs de l’époque ont fini par identifier toute cette civilisation à une activité marginale.

Vu que les nordiques était pas franchement porté sur l’écriture, c’est une vision partielle qui est arrivé jusqu’à nous, écrite par leurs ennemis et victimes malheureuses… nous laissant une image populaire d’une civilisation de barbares et pirates sanguinaires.

Cette vidéo sur le sujet est pas mal.

le cas méditerranéen

Un autre cas amusant est la pratique du « corso » en méditerranée.

Apparemment si on consulte les sources chrétiennes, on trouve plein de mention de raids, razzia, pillages fait par les musulmans sur les côtes de la méditerranée, tous dénoncé comme une abominable piraterie. Mais bizarrement si on consulte les sources musulmanes, il n’est pas vraiment fait mention de l’organisation de ces raids. Par contre … les musulmans se plaignent de l’abominable piraterie des chrétiens qui ravage leurs côtes. Et évidemment réciproquement, très peu de mention de l’organisation de ces pillages chez les chrétiens. Bref… le pirate c’est toujours l’autre et jamais soit même.

J’imagine assez bien « l’honnête » armateur génois qui dénonce avec véhémence la piraterie du turc comme un acte ignoble et barbare, tout en empochant en douce les bénéfices des pillages de ses galères et de son commerce d’otages rachetés.

Il semble que la pratique s’était tellement normalisée qu’elle était devenue une sorte de lubrifiant économique, les transferts et rachats de captifs créant des liens commerciaux entre les différentes rives de la méditerranée.

Là aussi la pratique ne prendra fin qu’avec l’établissement des états nations, et de leurs flottes commerciales. La piraterie barbaresque sera d’ailleurs un excellent prétexte pour lancer la colonisation alors que quelques décennies plus tôt, elle arrangeait tout le monde.

l’interdiction et les enjeux modernes

On débouche finalement à partir de la seconde moitié du XIXème sur un consensus d’interdiction de la piraterie. Les états sont devenus suffisamment forts pour imposer leurs puissances sur mer et la pratique corsaire est trop aléatoire pour être rentable sur le long terme.

Mais les pirates n’ont par complètement disparu pour autant, et on retrouve des épisodes occasionnels, les plus récents sur la côte de la somalie.

Et là on apprend que les états modernes ont dépensé des sommes très importante pour mettre en place les opérations de lutte contre la piraterie Somalie. A priori, des sommes sans rapport avec le danger et le préjudice réel représenté par les pirates Somalie.

Mais voilà, il fallait vraisemblablement faire passer un message. Il ne faudrait pas que les peuples qui voient passer au large de leurs côtes les richesses de l’occident aient l’idée d’en prélever leur part. Si il venait à d’autres l’idée d’en faire autant … de perturber les échanges mondiaux… le capitalisme mondialisé pourrait sentir le vent du boulet. bref … Pirates de tous les pays unissez vous !

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