Lady Sapiens – Jennifer Kerner, Thomas Cirotteau, Eric Pincas
Dernière lecture en date, Lady Sapiens, un livre sur la condition féminine au paléolithique écrit par Jennifer Kerner (que je connaissais surtout pour sa chaîne de vulgarisation : Boneless Archéologie), dans le cadre d’un travail collectif plus global (incluant je crois un documentaire mais que je n’ai pas vu).
Mon premier livre sur le paléolithique.
Bon, la préhistoire, c’est pas vraiment mon domaine. Je pense même que c’est le premier livre que je lis, spécifiquement sur cette période.
Et je dois dire que comme introduction au sujet, c’est plutôt efficace. Le livre couvre l’ensemble des activités des humains du paléolithique (en se demandant à chaque fois quel était le rôle potentiel des femmes). Cela couvre l’ensemble des activités humaines : de la production de nourriture (chasse et cueillette), à l’habitat, l’éducation, les arts, ou les rôles sociaux.
Il s’attache aussi à montrer le type d’indices que la recherche peut utiliser pour se faire une idée de la vie de nos lointains ancêtres. C’est peut-être cette partie un peu plus technique que j’ai trouvé le plus intéressant.
A cette échelle de temps, tout est sujet à incertitude, et c’est d’autant plus remarquable lorsqu’une bonne idée, une utilisation maline de la techno, permet d’avancer un peu l’état des connaissances.
Au global le livre se lit vraiment très bien, c’est de la bonne vulgarisation, et en ça on retrouve bien le travail de Jennifer Kerner (Boneless Archéologie) que j’ai déjà recommandé ici ou là (et qui vaut vraiment le coup).
La femme du paléo
Du coup quels enseignements sur la femme du paléolithique ?
Une femme active
Le livre s’attache fort fort fort à débunker ce qui semble être la vision du XIXème sur le rôle de la femme. Une vision d’une femme soumise, cantonnée dans des rôles subalternes par un « homme des caverne » violent.
Et globalement, les arguments mis en avant sont assez convainquant pour montrer que cette vision est fausse. L’archéologie a produit un certain nombre de contre-exemples qui semblent montrer qu’aucune tâche n’était strictement réservé aux hommes, excluant définitivement les femmes.
Pour autant j’ai un peu l’impression que c’est assez évident. Je ne vois pas comment des petits groupes d’humains, vivant dans un environnement relativement hostile, exclurai de fait la moitié de la population de tâches productives (production d’outils, chasse…) sous prétexte qu’elles n’ont pas de pénis. Ça ne me semblerait juste pas très efficace.
D’ailleurs j’ai l’impression que globalement les femmes ont toujours été très actives, remplissant des rôles essentiels (même si rarement valorisés) dans toutes les sociétés… sauf peut être dans la classe sociale supérieure au XIXème siècle…
Un féminisme du paléolithique ?
De là à dire qu’on peut conclure définitivement à l’absence de domination masculine au paléolithique, ça me semble très discutable (mais il ne me semble pas que ca soit le propos du livre pour autant).
Il y a pleins de sociétés où la domination masculine s’exprime non pas en enfermant les femmes dans des corsets et leur refusant toute activité productive, mais au contraire en les mettant au boulot pendant que les mecs ne glandent rien. C’était assez clair dans « La société contre l’état » de Pierre Clastre (et ma conclusion de l’article sur le sujet).
Du coup, si le livre s’attache à montrer que MoniqueDuPaléo pouvait exercer des « activités d’homme », c’est très intéressant mais ça ne dit pas forcément grand-chose sur les rapports de pouvoirs de l’époque. Et d’ailleurs rien ne dit que la situation était tranchée à l’époque (selon le lieu, l’époque exacte, la culture locale, etc…).
Le défi du questionnement historique
Bref, le focus sur le rôle des femmes est surtout un point d’entrée intéressant, mais je pense qu’il ne faut pas le voir comme « ha bah c’était mieux avant » mais plus comme un axe de recherche, une orientation du regard, presque un défi : « Ok, on sait quelques trucs sur le paléolithique, et sur les femmes alors ? »
Il y a évidemment un aspect militant dans ce choix de questionnement. Mais une fois la direction donnée, on est sur un travail scientifique, d’enquête. Ce questionnement est un challenge intéressant, et il permet d’apprendre plein de choses, débordant même sans doute la question initiale.
D’ailleurs, à mon niveau, ce que je retiens du livre c’est surtout que vu la distance temporelle et la disponibilité des sources, c’est déjà très cool qu’on puisse savoirs quelques vagues trucs sur le paléolithique et se poser ce genre de questions. On n’y apportera sans doute jamais de réponse définitive, mais l’exercice est intéressant.